Il n'est pas particulièrement charismatique. On le connaît plus pour sa grande gueule que pour son intellect. Il traîne l'image d'un politicien de la vieille école. Il a des manières rudes qui bousculent souvent ses collègues. Pourtant, Denis Coderre est partout, tout le temps, même là où on ne l'attend pas, comme sur les tapis rouges ou aux premières, au théâtre.

Au cours de la dernière année, il est devenu l'incontournable aspirant maire, qui fait de l'ombre à des rivaux élus à l'hôtel de ville depuis des années.

Retour sur le chemin parfois cahoteux d'un gros besogneux aux méthodes rustiques qui veut se réinventer en politicien 2.0.

Mai 2012, au Musée des beaux arts de Montréal, quelques centaines de personnes attendent Denis Coderre, qui célèbre ce soir-là le 15e anniversaire de son élection comme député fédéral de Bourassa.

En parcourant la grande salle, on croise une brochette hétéroclite de personnalités, de Jean Chrétien à Marie-France Bazzo en passant par Gilbert Rozon, Guy Nantel et Éric Salvail, mais aussi des avocats très en vue et des organisateurs politiques de longue date. Peu de politiciens peuvent réunir autant de gens d'horizons aussi divers lors d'une soirée mondaine.

Pour y arriver, Denis Coderre a dû manger ses croûtes... et jouer du coude.

Avant de devenir l'image incarnée du Parti libéral du Canada au Québec, M. Coderre a vendu des cartes de membres, recruté des jeunes militants, organisé des soirées-spaghetti et il a dû s'y prendre à quatre reprises avant d'être élu à la Chambre des communes.

Kid Coderre, comme l'avait surnommé mon défunt collègue Michel Vastel en raison de son goût immodéré pour les caméras, a mordu la poussière dans Joliette en 1988, puis lors d'une partielle dans Laurier-Sainte-Marie en 1990, contre un certain Gilles Duceppe. Après s'être auto-proclamé fils spirituel du défunt député libéral Jean-Claude Malépart (ce qui avait profondément irrité la veuve Malépart!), M. Coderre avait décidé de conquérir cette circonscription en distribuant des dépliants rue Sherbrooke, armé de son sourire Pepsodent et de ses bretelles rouges! En vain, mais Denis Coderre, loin d'abandonner son rêve, se présente de nouveau en 1993, dans Bourassa. Il sera battu encore une fois par le Bloc, mais gagnera finalement son ticket pour Ottawa en 1997.

Très vite, il devient un favori de Jean Chrétien, notamment parce qu'il ne manque jamais une occasion d'en découdre avec le Bloc aux Communes. Membre incontournable d'un caucus pourtant bien garni à l'époque, il réussit à s'imposer comme «ministre des Sports».

Il s'impose dans le monde du sport amateur et, plus tard, travaillera d'arrache-pied pour que Montréal obtienne l'Agence anti-dopage. De ces années, il a conservé des supporters inconditionnels dans le monde sportif.

Il passe brièvement à l'Immigration, mais l'arrivée de Paul Martin, inquiet à l'époque de toutes les rumeurs liant M. Coderre aux commandites, marque pour lui un long passage à vide.

Denis Coderre décide de profiter de ses nouveaux temps libres et on le retrouve, encore une fois, là où on ne l'attendait pas: sur les bancs de l'Université d'Ottawa, où il fera un MBA.

Revenu en grâce à l'époque de Michael Ignatieff, comme lieutenant du Québec, il profite de la grogne des artistes du Québec contre le gouvernement Harper pour tisser des liens solides dans cette communauté. On verra alors Denis Coderre «critique» culturel avec Marie-France Bazzo, copain-copain avec tous les animateurs de talk-show, «comédien» avec Denise Filiatrault et même complice de Guy Nantel dans un numéro d'humour.

Il s'impose aussi dans les médias sociaux, devenant, encore une fois, incontournable sur Facebook et Twitter.

Travailleur acharné, sa vie n'est que politique. Ses collègues commandent du vin au restaurant, lui, boit du Coke. Il parcourt entre 75 000 et 85 000 km par année, entretenant un réseau partout au Québec.

«Denis a une énergie hors du commun et des ambitions tout aussi grandes, dit un ancien collègue député. Il a su se réinventer et il a un excellent plan de carrière. Si ça marche pour lui à Montréal, il sera encore jeune [NDLR: il a 49 ans] et il pourra retourner à Ottawa, ce qu'il veut faire, j'en suis sûr.»

La meilleure défense...

Denis Coderre a développé un côté «bon gars» sur Twitter, mais il a toutefois mené sa carrière politique avec assez peu de délicatesse. Adversaires et collègues ont maintes fois goûté à la médecine de «Denis le bully». Sa rivalité avec Martin Cauchon a causé plusieurs escarmouches et dans les rangs libéraux, on reproche à M. Coderre d'avoir manoeuvré en 2007 pour barrer la route à Justin Trudeau dans Papineau, ce que le nouveau chef du PLC n'a jamais oublié.

Dans son livre Juggernaut, qui relate la guerre Chrétien-Martin, la journaliste Susan Delacourt raconte que Denis Coderre, après avoir appris que certains collègues ministres complotaient contre lui et son patron, était entré en trombe dans le bureau de Jean Chrétien pour lui dire de réagir, offrant lui-même de régler le cas des déloyaux!

J'ai moi-même dû «affronter» M. Coderre, furieux parce que j'avais écrit une nouvelle qui lui avait déplu. Il m'avait engueulé jusque dans les toilettes du lobby des Communes, visiblement prêt à en venir aux mains! J'ai aussi reçu quelques courriels de bêtise, parfois avant 7h du matin, à la suite de chroniques mal reçues.

Les journalistes qui suivent M. Coderre depuis longtemps savent qu'il a deux modes: soit «Hey, mon chum», avec des tapes dans le dos, soit il boude, parfois pendant des mois.

Il a aussi appris depuis longtemps que la meilleure défense, c'est l'attaque. Confronté, à l'époque des commandites, par mon collègue Daniel Leblanc qui s'intéressait aux liens entre M. Coderre et la firme Everest, l'ancien ministre avait un jour esquivé en point de presse en lançant: «Est-ce qu'il y a des vrais journalistes qui ont des vraies questions?»

Il évite systématiquement les questions sur ses relations passées avec les patrons de certaines agences de publicité (il a aussi travaillé chez Polygone, de Luc Lemay, qui a obtenu 40 millions de contrats de commandites, notamment pour des salons de chasse et pêche qui n'ont jamais eu lieu), en disant que «c'est des vieilles histoires».

Ce que M. Coderre ne dit pas toutefois, c'est que ses amis d'Everest ont obtenu un contrat de 500 000$ lorsqu'il était aux Sports en 1999 et qu'un fonctionnaire avait affirmé que son cabinet était intervenu en faveur de cette agence.

Ce que Denis Coderre omet surtout de rappeler, c'est qu'il a menti au collègue Leblanc (et à d'autres par la suite) lorsque celui-ci lui a demandé si les patrons d'Everest lui avaient prêté leur condo de l'Île-des-Soeurs en 1997. «C'est quoi c't'estie de niaiserie-là?», s'était alors offusqué M. Coderre (Nom de code: MaChouette, 2006, Libre Expression).

Lorsque le chat était sorti du sac, Denis Coderre s'était défendu en affirmant qu'il s'agissait de sa vie privée, ajoutant, à certains journalistes, dont Daniel Leblanc et moi, cette curieuse phrase: «On a des moyens au gouvernement. Qu'est-ce que les journalistes diraient si la GRC se mettait le nez dans leur vie privée?»

Un politicien «vieille école»

Denis Coderre aime se présenter comme un homme branché, un politicien du XXIe siècle, mais il a aussi un côté très vieille école.

Il a appris la politique dans les années 80, à l'époque où l'argent circulait librement, et en grande quantité, et où les bagmen étaient rois.

Dans son livre Reign of error, qui relate le passage catastrophique de John Turner à la tête du PLC, le journaliste Greg Weston raconte que Denis Coderre, alors jeune militant influent, a participé en 1986 à une opération pour acheter, à coup de centaines de dollars, l'appui de jeunes délégués avant un vote de confiance pour M. Turner.

Ça se passait dans une suite du Westin, à Ottawa, avec une «boîte à chaussures pleine de billets de 20$», écrit Greg Weston. Il cite Denis Coderre avouant que bien peu de jeunes se seraient déplacés sans «commandite»...

«C'était une autre époque, les lois ont changé, les gens ont changé, dit un partisan de M. Coderre. Denis est à la bonne place au bon moment et je suis persuadé qu'il est ce dont Montréal a besoin.»

Le nouveau politicien 2.0 peut-il supplanter l'ancien organisateur élevé à la vieille école?

Pour joindre notre chroniqueur: vmarissal@lapresse.ca