C'est en lisant sa Presse du samedi, en hiver 2011, que M. Tessier a appris qu'un promoteur voulait construire deux immenses tours de condos de 28 étages (320 unités) en bordure de la rivière des Prairies, dans son quartier de Pont-Viau.

Inquiet des impacts négatifs sur l'environnement et sur la qualité de vie de ses concitoyens, M. Tessier a envoyé un courriel à l'adresse générale de la Ville de Laval afin d'obtenir quelques éclaircissements sur ce mégaprojet.

Il était loin de se douter qu'on lui répondrait si vite et, surtout, que sa missive atterrirait en si haut lieu. À peine trois heures plus tard, son téléphone sonnait:

- Bonjour, M. Tessier, Gilles Vaillancourt, maire de Laval. Vous avez des questions sur le projet Commodores?

- Euh... Oui, en effet, j'ai quelques questions...

Déterminé à convaincre le citoyen dubitatif, Gilles Vaillancourt, un brin «arrogant», selon M. Tessier, a parlé pendant plus d'une heure, refusant d'aborder d'autres sujets que ce projet spécifique et se montrant même impatient devant les questions de son interlocuteur sur le développement en général à Laval.

***

Cette histoire m'avait été racontée il y a quelque temps et avec tout ce qu'on entend à propos de l'ex-administration municipale à Laval, elle m'est revenue en tête ces jours derniers. Comme M. Tessier, je trouve un peu curieux que le maire de la troisième ville du Québec rappelle lui-même des citoyens pour les convaincre du bien-fondé d'un projet immobilier privé, mais je comprends, à la lumière des révélations des derniers jours, que l'ancien maire avait vraiment intérêt à ce que sa ville se développe.

Cela semblait d'ailleurs être une habitude pour lui d'intervenir personnellement dans des dossiers immobiliers privés. L'an dernier, un collègue, citoyen de Laval, avait eu la surprise de voir le maire Vaillancourt apparaître à sa porte pour s'entretenir avec sa femme d'un petit projet dans leur rue.

Gilles Vaillancourt s'ennuyait-il à ce point pour se préoccuper ainsi de microgestion? En fait, il avait à coeur le développement de sa ville et la grande majorité de ses concitoyens étaient, il faut bien le dire, ravis. Développement = nouvelles sources de revenus = baisse de taxes et, en prime, de nouvelles infrastructures.

Un bon deal pour les contribuables. Et pour leur maire. En fait, c'était, pour Gilles Vaillancourt, le scénario parfait: une ville juste assez grosse pour attirer les promoteurs, les projets et les infrastructures et encore assez petite pour tout voir, tout savoir, tout contrôler.

Du long règne de Gilles Vailancourt, on devrait tirer, principalement, deux leçons: surveiller de près les villes qui connaissent un développement soutenu et limiter le nombre de mandats des maires. En fait, le cas Vaillancourt est en soi une infopub en faveur de la limitation de nombre de mandats des maires! Bien sûr, les maires « croches » peuvent fort bien réaliser leurs vils plans dès leur premier mandat, mais c'est plus rare. Leur permettre de régner ad vitam aeternam est un permis d'abus de pouvoir.

On entend plusieurs personnes, notamment dans le monde municipal, dire que l'assainissement des moeurs politiques municipales passe par une plus grande implication des citoyens, y compris par leur candidature aux postes électifs. Il y a quelques jours, le président de l'Union des municipalités du Québec, Éric Forest, encourageait les citoyens à voter et à se présenter aux élections municipales.

On ne peut être contre une plus grande participation. Il est vrai que les citoyens boudent les élections municipales, et la vie démocratique de leur ville, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'ils souhaitent donner les clés de leur hôtel de ville à des bandits.

Entre le «modèle Laval», où le maire omnipotent dirige tout, et le «modèle Montréal», où le maire devient impuissant devant la structure, il doit bien y avoir un juste milieu.

***

À Montréal, on se demande parfois, avec raison, quel est le poids réel d'un vote. Paradoxalement, un des principaux problèmes de Montréal, c'est qu'il y a trop d'élus. Tout le monde le sait à Québec, mais personne ne veut bouger, sauf la CAQ, qui est le seul parti à ne pas avoir de députés dans l'île de Montréal.

La solution avancée par François Legault (réduction du nombre d'élus et d'arrondissements) est certes imparfaite, mais il est le seul à avoir le courage de mettre le doigt sur le bobo. Le gouvernement Marois et son ministre responsable de Montréal, Jean-François Lisée, préfèrent, encore une fois, pelleter par en avant.

Ce n'est pas le bon moment, juste avant l'élection municipale, selon M. Lisée. Et après, ce sera plus facile de convaincre les élus municipaux de couper leur propre poste?

La réalité, c'est que pour le gouvernement du Québec, peu importe sa couleur, ce n'est jamais le bon moment de réformer la gouvernance à Montréal.

On me chuchote à l'oreille que Denis Coderre a quelques idées sur le sujet. On verra dès ce matin, moment tant attendu de son entrée officielle dans l'arène municipale, s'il aura l'audace de parler du tabou des structures montréalaises.