Il y avait tellement longtemps qu'on n'en parlait plus vraiment qu'on croyait qu'il avait disparu, mais il semble bien que le débat sur l'unité nationale reprenne de la vigueur ces jours-ci au Canada, et l'arrivée d'un nouveau chef portant le nom Trudeau au Parti libéral n'est certainement pas étrangère à ce phénomène. Au grand plaisir du gouvernement de Pauline Marois.

Justin Trudeau a beau répéter que les débats constitutionnels ne l'intéressent pas, que ce sont des «vieilles histoires» dont plus personne ne parle, ils le suivent, collés à son nom, comme le souvenir de son illustre père.

Avec Justin Trudeau dans les parages, les fantômes du rapatriement et de l'accord du lac Meech ne sont jamais bien loin.

Dimanche soir, après la confirmation de sa victoire à la tête du PLC à l'hôtel Westin d'Ottawa, M. Trudeau et ses partisans ont traversé la rue pour aller célébrer au Centre des conférences, le lieu même de la tristement célèbre «nuit des longs couteaux». Un choix fortuit, m'a dit un conseiller de M. Trudeau, mais au moment où la question de l'unité nationale revient sur le tapis, on ne peut s'empêcher de voir partout des liens entre les positions de Trudeau, père et fils.

Mercredi, pour son premier discours devant son caucus, Justin Trudeau a vanté les mérites de la Charte canadienne des droits et libertés adoptée par le gouvernement de son père, écorchant au passage René Lévesque, responsable ultime, selon lui, de l'exclusion du Québec de la Constitution

La table était mise pour la première visite du nouveau chef du PLC à Québec, hier, où il a rencontré les chefs du PLQ et de la CAQ, Philippe Couillard et François Legault. Sans surprise, là aussi, il a dû répondre à des questions à saveur constitutionnelle, en plus d'essuyer une salve de critiques acerbes du gouvernement Marois.

Pas de doute, le débat sur l'unité nationale est soudainement de retour avec Justin Trudeau alors que depuis l'arrivée au pouvoir de Stephen Harper, il y a sept ans, le pays semblait être passé à autre chose.

Depuis quelques années, on débat plus souvent sous l'angle droite-gauche que dans l'axe fédéraliste-souverainiste. De plus, les préoccupations constitutionnelles ont fait place aux discussions sur l'énergie, sur l'environnement, sur les politiques étrangères, sur la fiscalité, sur les valeurs à défendre.

L'élection, en septembre, du Parti québécois a fait renaître un léger sentiment d'inquiétude dans le reste du Canada, mais rien de comparable avec 1980 et 1994, et certainement à des années-lumière de la panique de 1995. La réalité, c'est que le ROC et Ottawa s'étaient détournés des questions d'unité nationale et que l'option souverainiste, qui stagne autour de 35%, ne déchaîne plus les passions au Québec.

L'entrée en scène de Justin Trudeau change la donne même si, ironiquement, celui-ci dit vouloir parler d'autre chose. Le sujet, c'est vrai, est toujours délicat. Pour tout leader fédéraliste, mais encore davantage quand on s'appelle Trudeau.

Dès son lancement de campagne à la direction du PLC, à Montréal en octobre, l'ombre du rapatriement de la Constitution a plané au-dessus du jeune Trudeau.

Au cours des derniers mois, la tentative du NPD aux Communes d'amender la loi sur la «clarté» pour y préciser qu'un résultat de 50% plus un serait acceptable a aussi contribué à relancer les débats d'unité nationale. Estimant que le NPD s'est fait très mal à l'extérieur du Québec avec cette position, les libéraux ont soudain repris goût aux débats constitutionnels, même si leur nouveau chef affirme vouloir parler d'autre chose.

Si le PLC estime pouvoir récupérer des votes partis vers le NPD, il ne se privera pas de jouer la carte de l'unité nationale. Dans un tel scénario, le nom Trudeau pourrait être un atout pour les libéraux à l'extérieur du Québec, et même chez les fédéralistes québécois purs et durs. En cas de résurgence des craintes sur l'unité nationale dans le ROC, le nouveau chef du PLC est certainement mieux placé que son adversaire du NPD, à qui on reproche souvent de faire trop de compromis pour garder ses sièges au Québec. Quant à Stephen Harper, il est aux abonnés absents sur les questions québécoises.

La sortie du livre La bataille de Londres, de Frédéric Bastien, il y a quelques jours, amène aussi de l'eau au moulin constitutionnel. L'empressement du PQ à récupérer les conclusions de cet ouvrage était prévisible. C'est de bonne guerre.

Par ailleurs, suffisait de voir, hier, les ministres du gouvernement Marois attendre Justin Trudeau avec une brique et un fanal pour comprendre qu'il est devenu leur meilleur ennemi.

Un nouveau Trudeau, qui reprend certaines positions constitutionnelles de son père, quelle aubaine pour le PQ! Un Canada inquiet de nouveau pour l'unité nationale, quel terreau fertile pour Justin Trudeau!

Au fond, Mme Marois est bien heureuse de la montée des libéraux de Justin Trudeau. Et celui-ci pourrait fort bien s'accommoder d'un PQ majoritaire.

Pauline et Justin, alliés objectifs d'une bataille aux airs de déjà-vu.