Une prolongation de 18 mois, dont probablement 12 mois d'audiences publiques, avec plein de nouveaux témoins divertissants, quelle aubaine pour RDI et LCN! Même pas besoin de payer, en plus, c'est un show gratis!

Blague à part, quelqu'un est-il vraiment surpris par cette demande de prolongation? Nous avons tous dit et écrit, dès sa création, que cette commission, comme l'immense majorité des commissions de ce genre, ne pourrait remplir son mandat dans les 24 mois accordés par l'ancien gouvernement libéral. Il aurait même été louche que la juge Charbonneau et son équipe décident de s'en tenir au premier échéancier, qui prévoyait un rapport en octobre 2013. On comprendrait, cela dit, les commissaires d'en avoir marre de se faire mentir en pleine face, quand certains témoins ne se foutent pas carrément de leur tête, mais ils savaient dans quoi ils s'embarquaient et ils ne lâcheront pas le morceau. D'autant qu'ils n'ont même pas encore abordé directement le financement des partis provinciaux.

Certains s'offusquent d'une prolongation aussi longue, mais on peut difficilement avoir réclamé haut et fort la tenue d'une telle enquête pendant des années et réclamer maintenant qu'elle coupe court à ses travaux.

Se souvient-on seulement du mandat qui lui a été confié? Le voici (9 novembre 2011):

IL EST ORDONNÉ, sur la recommandation du premier ministre:

QUE, conformément à l'article 1 de la Loi sur les commissions d'enquête, soit constituée une commission d'enquête dont le mandat est le suivant:

d'examiner l'existence de stratagèmes et, le cas échéant, de dresser un portrait de ceux-ci qui impliqueraient de possibles activités de collusion et de corruption dans l'octroi et la gestion de contrats publics dans l'industrie de la construction incluant, notamment, les organismes et les entreprises du gouvernement et les municipalités, incluant des liens possibles avec le financement des partis politiques;

de dresser un portrait de possibles activités d'infiltration de l'industrie de la construction par le crime organisé;

d'examiner des pistes de solution et de faire des recommandations en vue d'établir des mesures permettant d'identifier, d'enrayer et de prévenir la collusion et la corruption dans l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction ainsi que l'infiltration de celle-ci par le crime organisé.

Nous sommes en mars et nous n'avons toujours pas encore entendu d'élus (ou d'ex-élus) municipaux ou provinciaux, pas plus que les dirigeants des principales entreprises du domaine de la construction ou de grands bonzes de la mafia. Il ne reste que six mois avant octobre, date limite du mandat original. C'est donc dire qu'il faudrait entendre tous les témoins en attente et écrire un rapport au pas de course, au risque de tourner les coins ronds.

Certains diront que d'autres commissions d'enquête publique ont procédé beaucoup plus rapidement. La commission Gomery (2004-2005), par exemple, a entendu près de 200 témoins et pondu son premier rapport en 21 mois. Il y a 38 ans, la commission Cliche avait mis 14 mois pour entendre 300 témoins et faire ses recommandations au gouvernement. Près de 300 témoins en 70 jours d'audience, soit plus de 4 témoins par jour!

Il faut dire, cependant, que les mandats confiés à ces commissions étaient plus circonscrits et l'étendue de la tâche, beaucoup moins ambitieuse. La commission Gomery devait faire la lumière sur un seul programme fédéral d'environ 100 millions, alors que le gouvernement libéral de Robert Bourassa avait demandé au commissaire Cliche d'enquêter sur l'«exercice de la liberté syndicale dans l'industrie de la construction», après le tristement célèbre saccage de la Baie-James.

Suffit de relire le texte du mandat de la commission Charbonneau pour réaliser l'ampleur de ce qu'on lui demande. Suffit de constater l'immense pression qu'on met sur cette commission pour conclure qu'elle ne peut bâcler le travail.

Il est tout de même ironique de réaliser que le gouvernement Charest, qui a tellement hésité à lancer cette enquête, a finalement créé un tel monstre!

Mais puisque cette commission est en marche, puisqu'elle était souhaitée par une vaste majorité de Québécois, le pire qui pourrait maintenant arriver, c'est qu'elle coupe court à ses travaux, alimentant ainsi l'impression qu'elle aura surtout servi à camoufler des choses.

Je ne suis pas expert en interrogatoire, mais on pourrait sans doute accélérer le pas un peu. Certains témoignages se sont étirés inutilement, n'apportant rien de neuf au dossier.

Il faudrait aussi que la juge fasse publiquement le point, prochainement, question de nous dire où elle s'en va, quel est son plan de match, comme elle l'avait fait l'automne dernier.

La demande de prolongation a été apparemment bien reçue par le gouvernement, et les partis de l'opposition ont indiqué qu'ils sont d'accord. On voit mal, dans les circonstances, Pauline Marois refuser cette demande ou même accorder moins de 18 mois, comme si on négociait le déroulement d'une commission présumée indépendante. De toute façon, les péquistes, minoritaires à l'Assemblée nationale, ne seront certainement pas déçus de voir cet exercice se prolonger encore deux ans, convaincus qu'ils sont que les libéraux ont beaucoup plus à perdre qu'eux au cours des prochains mois.

Parlant d'indépendance des commissions, il serait préférable, une fois leur mandat tracé et leurs travaux commencés, de confier à un groupe neutre et apolitique les décisions sur sa durée, puisque le gouvernement (c'était aussi le cas avec Bastarache et Gomery) est souvent juge et partie.

vincent.marissal@lapresse.ca