Sans le Québec, il n'y aurait pas eu de vague orange au printemps 2011. Pas d'engouement phénoménal pour Jack Layton, le «bon Jack» comme on disait familièrement ici, et, donc, vraisemblablement pas de film biographique sur lui. Pourtant, CBC présentera dimanche le film Jack, dont il n'existe pas de version française et qui occulte les principaux aspects de la percée historique du Nouveau Parti démocratique (NPD) au Québec.

Le film Jack a été présenté cette semaine à des députés du NPD, à des membres de la famille et de l'entourage de Jack Layton et aux artisans du film lors de projections privées à Ottawa, Toronto et Winnipeg, mais pas à Montréal, ville natale de l'ancien chef du NPD et épicentre de la fameuse vague orange. Évidemment, il aurait été un peu gênant de présenter un tel film en anglais au Québec.

Grand moment d'émotion chez ceux qui l'ont connu et aimé, mais aussi moment de malaise pour les francophones qui ne s'expliquent pas vraiment pourquoi la version française de Jack n'existe pas. Difficile à comprendre, en effet. Malgré de nombreux coups de téléphone au cours des derniers jours, je n'ai pas obtenu de réponse claire.

Au départ, il y a environ un an, la maison torontoise de production Pier 21 a pris contact avec la veuve de Jack Layton, la députée Olivia Chow, pour lui présenter le projet de film et s'assurer de sa collaboration, ce qu'elle a accepté avec enthousiasme, conseillant les acteurs qui personnifient Jack et elle-même, révélant des détails de la vie de son défunt mari et donnant des vêtements (de Jack et d'elle) et même la fameuse canne devenue symbole de détermination de l'ex-chef du NPD pendant la campagne de 2011.

Très tôt, CBC (Radio-Canada anglophone) s'est engagée dans le projet, devenant coproducteur et, évidemment, diffuseur attitré, mais il semble que sa frangine francophone, Radio-Canada, n'a jamais été dans le coup.

Le film sortira donc dimanche, in English only, et il y aura peut-être un jour, dans plusieurs mois, une version française puisque le service des acquisitions de Radio-Canada est «en train d'évaluer le projet» et achètera peut-être les droits de diffusion, indique le porte-parole de la télé publique, Marc Pichette.

Pourquoi ne pas avoir participé depuis le début, avec la CBC, ce qui aurait permis de tourner dans les deux langues (comme on l'avait fait pour la télésérie sur René Lévesque), d'enrôler quelques acteurs francophones (il n'y en a aucun dans le film!) et d'insuffler un peu de réalité québécoise, qui manque cruellement dans ce pur produit canadian?

«Nous n'avons pas été joints pour ce projet, je ne sais pas pourquoi», dit simplement Marc Pichette. Pourtant, les producteurs ont acheté les droits pour des scènes réelles du passage de Jack Layton à Tout le monde en parle, un moment fort de sa percée au Québec.

Du côté du producteur, Margaret Sirotich affirme qu'il est fréquent, dans l'industrie, de produire en anglais seulement et d'attendre, selon la réaction du marché, qu'un diffuseur francophone se manifeste et achète les droits pour une version française.

Au NPD, on dit s'être volontairement tenu à distance de ce projet privé, qui ne pouvait être perçu comme une oeuvre partisane, même si Mme Chow s'est personnellement beaucoup impliquée.

«Nous avons toutefois exprimé clairement que nous souhaitions une version française dès le départ», précise Karl Bélanger, ancien porte-parole, conseiller et ami de Jack Layton.

N'étant pas critique de cinéma, je laisserai à d'autres le soin de critiquer les qualités artistiques de Jack, mais l'absence de touche québécoise se fait lourdement sentir. Le rôle de Karl Bélanger, par exemple, rare francophone dans l'entourage de M. Layton (qui exigeait d'ailleurs que son attaché lui parle en français), a été confié à un acteur unilingue anglophone, ce qui aseptise complètement la relation entre les deux hommes et occulte l'importance du Québec aux yeux de l'ex-chef du NPD.

En fait, il faut attendre 40 minutes pour entendre un premier mot en français («merci!», lancé par Jack).

La conquête du Québec, dans le film, se limite à une visite de M. Layton dans la circonscription de Gilles Duceppe, au milieu d'une forêt de pancartes orange. Par ailleurs, le film insiste sur l'émotion du clan Layton, lors de cette visite à Montréal, devant un sondage qui place le NPD deuxième au Canada alors que la vraie bombe de la campagne, c'était plutôt le sondage CROP qui plaçait soudainement le NPD devant le Bloc!

Ce que ce film dit, bref, c'est que Jack Layton était un héros canadien, ce qui confirme en quelque sorte la théorie de la percée accidentelle du NPD au Québec. Ce film aurait pu être le récit d'une formidable rencontre entre un grand leader d'un parti profondément canadien et les Québécois, mais il ne fait qu'ajouter, par son scénario et sa distribution, un autre chapitre à l'interminable histoire des deux solitudes.

Depuis quelques jours, il y a un grand débat au Canada anglais pour savoir s'il n'est pas trop tôt, moins de deux ans après la mort de M. Layton, pour faire un film sur lui. Rien, toutefois, sur le fait qu'il n'existe qu'une version anglaise, que le film est pauvre en contenu québécois et produit en collaboration avec la télévision d'État. Who cares?

Je me demande ce que le bon Jack en penserait.