Une «téléréalité captivante», le «meilleur téléroman en ondes en ce moment», un «spectacle passionnant», une «vraie drogue»... À lire et à entendre les commentaires sur les audiences de la commission Charbonneau, on réalise bien vite que la réalité, même scabreuse, peut devenir plus intéressante que la fiction.

Échaudé par des années de scandales et d'allégations, le peuple se cherche des héros et il veut voir des têtes de vilains sur des pieux plantés bien en vue à l'entrée de la Cité. Une nouvelle tête chaque semaine, de préférence, question de maintenir l'intérêt de la foule.

Du coup, de petits organisateurs politiques anonymes deviennent des vedettes, des entrepreneurs croches deviennent de courageux redresseurs, des réputations passent dans le tordeur, mais il faut ce qu'il faut, the show must go on!

Pour ne pas être en reste, les politiciens, affolés par le vent d'indignation et la vindicte populaire, se précipitent dans la ronde, quitte à bousculer des principes fondamentaux, comme la présomption d'innocence.

Dimanche dernier, Raymond Bachand a affirmé dans un débat avec ses adversaires à la direction du Parti libéral du Québec qu'un maire accusé devrait être automatiquement démis de ses fonctions. Et la présomption d'innocence? lui a demandé Pierre Moreau. «De toute façon, ces procédures durent au moins deux ans, donc il n'est plus maire!» Et si, au bout de deux ans, le maire en question est innocenté?

L'automne dernier, à la suite du témoignage de Martin Dumont, au moins trois ministres, et la première ministre, ont fortement suggéré à Gérald Tremblay d'abandonner ses fonctions, ce qu'il a fait dans les jours suivants. (Cela dit, les problèmes de l'ex-maire, de son administration et de son parti étaient antérieurs aux déclarations fracassantes de Martin Dumont, qui n'aura été que la proverbiale goutte de trop.)

On le voit bien depuis deux jours à la commission Charbonneau, il aurait été préférable de se garder une petite retenue devant les affirmations de Martin Dumont. Cela aurait évité à la Commission de passer la vadrouille sur un beau gros gâchis qui risque de faire tourner tout le reste de son excellent travail en eau de vaisselle.

Soit, mais que faire quand un témoin en beurre plus épais que prévu, qu'il déroge de ses entretiens préliminaires avec les enquêteurs et qu'il se met à tirer dans toutes les directions? Arrêter le témoin dès le premier dérapage pour vérifier où il s'en va avec ses affirmations imprévues? Peut-être bien. Contre-vérifier ses déclarations avant de l'asseoir dans la «boîte» ? Oui, sans doute.

La pression est forte sur la Commission. Les Québécois l'ont réclamée pendant des années et ils veulent des résultats. Ils veulent des noms, des coupables.

Les médias, disons-le franchement, accentuent cette pression. Ils suivent les témoignages mot à mot, en direct, sans recul, à la télé, à la radio, sur Twitter, sur leur site internet, et ils rechignent quand la Commission connaît quelques journées creuses, un peu comme un chroniqueur sportif qui déplore la plus récente léthargie du Canadien.

Hier, au moment où se déroulait une joute juridique serrée entre l'avocate de Martin Dumont et les commissaires, plusieurs membres des médias ont critiqué cette «perte de temps».

Le compte Twitter d'Infoman a même envoyé ce gazouillis: «#CEIC, la patience de votre public a des limites. Le déjeuner-causerie serait parfait dans une fac de droit, mais pas à la télé». Votre «public» ? Est-ce que la juge Charbonneau sera en nomination au gala Artis cette année?

Cette fascination un peu morbide des Québécois pour les révélations-chocs d'une telle commission est probablement inévitable dans le climat actuel, mais la juge Charbonneau et son équipe n'ont pas à se laisser entraîner dans ce tourbillon.

Une commission d'enquête ne se préoccupe pas des cotes d'écoute ni de donner un bon show. La juge Charbonneau l'a dit et elle devrait le répéter: il faut du temps pour reconstituer un casse-tête aussi immense; la Commission n'est pas là pour désigner des coupables, et l'immunité accordée aux témoins ne les autorise pas à mentir, à se parjurer ou à inventer des fables pour se rendre intéressants.

Combien de temps? Le temps qu'il faudra. On n'en est pas à une journée près, n'en déplaise à tous ceux qui trouvent que la Commission perd du temps depuis deux jours avec le cas Dumont.

D'ailleurs, il faut être cohérent: on ne peut pas reprocher à la Commission d'avoir tourné les coins ronds l'automne dernier avec Martin Dumont et la critiquer maintenant parce qu'elle prend le temps nécessaire pour nettoyer ce gâchis.

Même avec toutes les précautions, il est impossible de se prémunir complètement contre les menteurs, les fabulateurs et les cachottiers. L'important, c'est de faire une juste appréciation des témoignages qui alimenteront le rapport final.

Voilà, par exemple, ce qu'écrivait John Gomery dans son rapport à propos d'un autre témoin-vedette aux révélations spectaculaires: «Je suis parvenu à la conclusion que M. Corbeil est un témoin foncièrement menteur et que rien de ce qu'il dit ne contient la moindre parcelle de vérité. Les conflits, contradictions, échappatoires et inventions ci-après, extraits de son témoignage, expliquent pourquoi je n'accorde strictement aucune valeur à ses déclarations.»

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