Les Albertains vont aux urnes aujourd'hui et même si le résultat pourrait être serré, deux choses sont certaines: une femme sera élue première ministre de cette province pour la première fois et le gouvernement sera de droite.

Tout ce qui reste à déterminer, c'est jusqu'où, à droite, iront les Albertains.

On l'a répété ad nauseam ces dernières semaines: un tout nouveau parti, le Wildrose dirigé par la jeune chef Danielle Smith, pourrait mettre fin ce soir au règne ininterrompu de 41 ans des conservateurs. On s'en étonne, mais pourtant, l'anomalie, ce serait plutôt qu'un parti puisse rester au pouvoir si longtemps, sans être confronté à une véritable opposition. L'usure du pouvoir progresse apparemment lentement, en Alberta.

Le phénomène incontournable de l'usure s'est toutefois accéléré contre l'indélogeable Parti conservateur ces dernières années, et le «Parti de la rose sauvage» (une espèce indigène de l'Alberta) a germé puis poussé très rapidement dans le terreau de l'insatisfaction des Albertains contre leur gouvernement.

Cela ne veut pas dire que les Albertains ne sont plus conservateurs. Au contraire, ils le sont probablement plus que jamais, mais c'est le Parti conservateur qui ne l'est plus assez, selon les partisans du Wildrose et la majorité des commentateurs de droite.

«Je n'ai pas quitté le Parti conservateur, c'est lui qui m'a quittée», a déclaré Danielle Smith en début de campagne, résumant la pensée de bien des militants de son nouveau parti.

La chef conservatrice et première ministre sortante, Alison Redford, insiste beaucoup sur le «progressiste» toujours inscrit dans le nom de son parti, ajoutant que le Wildrose est une menace aux valeurs albertaines et canadiennes.

Du coup, le Parti progressiste conservateur est devenu, contre toute attente, un refuge pour les électeurs de centre et de gauche (peu nombreux ici, on s'entend...), ce qui pourrait faire mal aux libéraux et aux néo-démocrates, qui peinent à garder une poignée des 88 sièges à Edmonton.

Un groupe de pression de gauche a même lancé une campagne sur l'internet intitulée «I never thought I'd vote PC» (Je n'aurais jamais pensé voter PC un jour), dénonçant le Wildrose et invitant les électeurs progressistes à voter... conservateur.

La désaffection des électeurs très conservateurs à l'endroit du parti dominant depuis quatre décennies s'explique par une série d'erreurs et par l'attitude arrogante typique d'une élite installée au pouvoir depuis trop longtemps.

Le gouvernement conservateur a adopté de généreuses augmentations de salaire aux députés, il a autorisé le paiement de primes aux membres d'un comité parlementaire qui ne siégeait jamais, il a intimidé des médecins qui dénonçaient la mauvaise gestion du réseau de la santé et un de ses anciens ministres, récemment nommé délégué à Hong Kong, a fait l'objet d'une enquête pour financement électoral illégal.

Les conservateurs reconnaissent qu'ils doivent projeter une nouvelle image et font campagne sur le thème du... changement, ce qui est tout de même ironique pour un parti au pouvoir depuis plus de 40 ans! Leur slogan est «The right kind of change» (Votez pour le bon changement), en opposition au changement pur et simple prôné par le Wildrose.

La plus grande faute du gouvernement aux yeux des Albertains, toutefois, est l'augmentation constante des dépenses publiques au cours des dernières années, d'où les cinq déficits consécutifs. On lui reproche, notamment, d'avoir dépensé des milliardsdans un projet de captation du CO2. De plus, l'Alberta détient deux titres peu envieux, selon ses habitants: le plus de fonctionnaires par habitant et les plus fortes dépenses publiques par habitant dans les programmes sociaux.

Dans une province qui n'a pas de dette publique, pas de taxe de vente et un taux d'imposition unique (faible) de 10%, la marge de manoeuvre fiscale est pourtant assez grande. Vous risquez toutefois de vous faire lyncher si vous suggérez ici de regarder du côté de la colonne des revenus du gouvernement plutôt que seulement du côté de celle des dépenses.

Le Parti libéral (dirigé par un ancien ministre conservateur) propose de taxer davantage les riches, mais ce parti a autant de chances de prendre le pouvoir ce soir que le CH de gagner la Coupe Stanley ce printemps.

Non seulement les Albertains ne veulent même pas entendre parler d'une augmentation de leur contribution aux coffres de l'État, mais ils sont charmés, pour la plupart, par la promesse du Wildrose de leur verser des «dividendes énergétiques», soit un chèque à chaque Albertain (300$ à partir de 2015). Le truc a déjà été utilisé par Ralph Klein et par Mike Harris, en Ontario, dans les années 90 et au début 2000, qui parlait lui aussi de dividende.

Nous sommes ici dans une relation gestionnaires-actionnaires plus que dans une relation gouvernement-électeurs.

Comme tous les actionnaires, les Albertains réclament du rendement et la fin du gaspillage. Et contrairement à ce qu'on voit trop souvent en Bourse, ils ont le pouvoir d'éjecter les gestionnaires, sans parachute doré.

C'est, apparemment, le sort qui attend les conservateurs après 41 ans au pouvoir.