Oyez, oyez, braves gens de partout au Canada, réjouissez-vous: la ville ontarienne de Stirling-Rawdon a remporté le concours «Kraft Hockeyville 2012», ce qui lui permettra de rénover son aréna, d'y présenter un match préparatoire de la Ligue nationale de hockey (LNH) et même d'accueillir la Soirée du hockey.

Cette nouvelle, qui ressemble plus à un communiqué promotionnel de la multinationale Kraft, vous semble insignifiante? À moi aussi, mais le premier ministre Stephen Harper, lui, accorde à cette histoire une importance nationale. Au point, en tout cas, de publier une déclaration officielle un samedi soir à 23h19 pour offrir ses plus sincères félicitations aux gens de Striling-Rawdon et de remercier Kraft, la LNH et... Radio-Canada.

Il est faux de dire que M. Harper méprise les institutions canadiennes: notre sport national et la Soirée du hockey (en fait, Hockey Night in Canada) occupent une place de choix dans son coeur.

Le bureau du premier ministre n'a pas jugé bon de publier une déclaration pour féliciter le nouveau chef de l'opposition, Thomas Mulcair, élu à la tête du NPD il y a 10 jours, mais il s'est empressé de partager au bon peuple le résultat d'un concours Kraft... À chacun ses priorités.

Mes collègues qui ont causé récemment avec Thomas Mulcair me disent qu'il ne se formalise pas trop de l'absence de déclaration du bureau du premier ministre, notamment parce que les deux hommes se sont parlé au téléphone. Ce n'est pas la fin du monde, en effet, mais c'est représentatif, selon moi, du peu de respect que porte M. Harper aux institutions parlementaires.

Que le premier ministre passe un coup de fil à celui qui se trouvera devant lui tous les jours à la Chambre des communes, c'est normal. Courtoisie élémentaire. Cela ne devrait pas dispenser le bureau du premier ministre de marquer le coup en accueillant officiellement le nouvel occupant du bureau de l'opposition officielle. D'institution à institution, peu importe les individus, leurs divergences, leur personnalité.

Il est tout de même étonnant de constater que le premier ministre du Canada accorde plus de respect aux vestiges de la monarchie britannique qu'aux traditions parlementaires du pays souverain qu'il dirige.

Les exemples d'un tel mépris s'accumulent depuis que les conservateurs ont pris le pouvoir, en 2006, et en particulier depuis qu'ils sont devenus majoritaires, en mai.

Il y a eu, bien sûr, les deux prorogations et le recours quasi systématique au bâillon pour faire adopter les projets de loi en limitant les débats. Quitte à imposer un débat limité en pleine nuit, abruptement interrompu par un (autre) bâillon, comme le gouvernement l'a fait il y a deux semaines avec sa loi spéciale interdisant tout arrêt de travail chez Air Canada.

Depuis quelques années, le ministre des Finances, Jim Flaherty, ne daigne plus présenter sa mise à jour économique devant un comité des Communes: il le fait devant les chambres de commerce. Moins de questions embarrassantes.

La première fois que Stephen Harper a évoqué la possibilité de repousser l'âge de la retraite de 65 à 67 ans, c'était en Suisse, au très sélect Forum économique de Davos.

Ce gouvernement rompt aussi avec la tradition en utilisant des sénateurs pour défendre et promouvoir des projets de loi, pour donner la réplique aux partis de l'opposition et pour répondre aux médias, des tâches normalement réservées aux élus du Parlement, redevables devant l'électorat.

Le sort réservé aux «chiens de garde» du Parlement, comme Élections Canada ou le commissaire à l'information, fait aussi sourciller. La semaine dernière, par exemple, les conservateurs ont choisi la journée du budget pour faire témoigner le président d'Élections Canada, qui enquête sur l'affaire des appels frauduleux.

La Cour suprême, une nuisance libérale à en croire les conservateurs, n'est pas, elle non plus, dans les bonnes grâces de ce gouvernement. Et je ne parlerai même pas de Radio-Canada, grande institution publique canadienne, amputée de 10% de son budget sans même mériter une ligne d'explication dans le budget, et de la tribune parlementaire, tenue à bonne distance des sources d'information.

Cette attitude pour le moins cavalière du gouvernement fait craindre à certains l'abandon de l'une des plus grandes institutions canadiennes: l'assurance maladie (medicare).

Le NPD, notamment, croit que Stephen Harper veut réduire la taille de l'État et son engagement financier dans l'assurance maladie, ouvrant tout grand la porte au privé.

Si tel est le cas, l'enjeu de la prochaine campagne électorale est écrit en grosses lettres dans le ciel politique canadien. On verra, par la même occasion, si le Canada de Stephen Harper a changé au point d'abandonner cette vache sacrée qu'est le medicare.

J'en doute.