Sans surprise, hier matin, tous les médias du pays ont braqué leurs projecteurs sur le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, qui a déclaré qu'on devrait laisser traîner une corde dans la cellule de tous les meurtriers, question de les laisser décider de leur vie (ou, plutôt, dans ce cas-ci, de leur mort).        

Je veux bien que l'on critique la déclaration incendiaire de M. Boisvenu. Ce n'est pas sa première sortie remarquée sur les questions de criminalité et de justice. Mais il ne faudrait tout de même pas oublier la responsabilité de celui qui l'a nommé sénateur et qui l'utilise systématiquement comme porte-parole au Québec: le premier ministre Stephen Harper.

Même s'il le voulait, le premier ministre ne peut pas congédier un sénateur. Il pourrait lui demander de démissionner ou l'expulser du caucus - ce qu'il ne fera pas, évidemment. M. Harper, au contraire, a bien vite passé l'éponge en disant que son sénateur s'était excusé.

La question, maintenant, est de savoir si M. Harper continuera de se servir de son sénateur comme porte-parole en matière de justice au Québec (et de traducteur du ministre Rob Nicholson, qui ne parle pas français), s'il lui laissera la responsabilité du projet loi omnibus sur la criminalité (C-10) ou s'il lui demandera plutôt de prendre quelques semaines de congé de micro avant de s'occuper d'autres dossiers.

Nous connaissons tous l'histoire de M. Boisvenu, qui a perdu une fille aux mains d'un assassin, une horrible histoire suivie d'un deuil terrible qui lui a assuré la sympathie sincère de tous. Cette sympathie est inaltérable, mais elle n'autorise pas le sénateur Boisvenu à dire n'importe quoi dans un domaine où, visiblement, ses sentiments l'emportent sur la raison. De toute évidence, le sujet est trop troublant pour lui, ce qui se comprend, et ses réactions explosives provoquent controverses et division.

À moins que ce ne soit, justement, le but recherché par les conservateurs, qui comptent dans leur rang une bonne proportion d'électeurs favorables à la peine de mort.

Bien sûr, M. Boisvenu s'est excusé, mais il a surtout regretté d'avoir tenu ces propos publiquement. Sur le fond, il croit que nous devrions avoir une «réflexion» sur la peine de mort dans les cas où, dit-il, la réhabilitation est impossible (il a cité, notamment, le cas du meurtrier en série Clifford Olson). Son idée semble faite depuis longtemps sur la question, lui qui a dit: «Comme je dis toujours, dans le fond, il faudrait que chaque assassin (ait) le droit à sa corde dans sa cellule. Il décidera de sa vie.»

Donc, il n'est pas pour la peine de mort, mais on devrait néanmoins y réfléchir... Il faudrait savoir. Si vous n'êtes pas pour, c'est que c'est déjà réfléchi. Au contraire, on rouvre la porte.

C'est d'ailleurs ce qu'il fait, tout en s'en défendant, ajoutant même un argument financier pour la peine de mort: «Vous savez, la peine de mort, il y a deux éléments là-dedans. Un, s'il y a une impossibilité de réhabilitation. Deux, il y a un élément économique. Vous savez, les Shafia, les trois qui seront emprisonnés, vont coûter

10 millions à l'État québécois, à l'État canadien. Il y a un problème économique là aussi lorsque les 10 millions, on ne le met pas ailleurs, on le met sur des criminels où il n'y a aucune possibilité de réhabilitation.»

M. Boisvenu devrait au moins avoir la décence de ne pas présenter de fausses excuses et affirmer ouvertement qu'il est, dans les faits, pour la peine de mort.

Cela me rappelle une déclaration que Stephen Harper a faite à CBC il y a tout juste un an, lorsqu'il avait dit croire personnellement que, «dans certains cas, la peine capitale est appropriée». Le premier ministre s'était toutefois défendu de vouloir légiférer en ce sens et avait souligné que la population ne le souhaite pas.

Les conservateurs étaient alors minoritaires. Maintenant qu'ils sont majoritaires et bien en selle pour près de quatre ans encore, la sortie de M. Boisvenu pourrait inciter militants et élus à relancer le débat.

D'ailleurs, la formulation «pour la peine de mort dans certains cas» est, en soi, un sophisme. C'est évident qu'on est pour la peine de mort «seulement» dans certains cas. Pas pour les voleurs de dépanneur, mais oui pour les meurtriers. À la fin, on est pour ou contre la peine de mort, il n'y a pas de position mitoyenne.

L'affaire Shafia (comme toutes les histoires de meurtres d'enfants ou de tueurs en série) a provoqué émotion et indignation, des sentiments qui sont généralement mauvais conseillers pour débattre de choses aussi fondamentales que la peine de mort.

Le sénateur Boisvenu ne rate jamais une occasion de dire qu'il est entré au Sénat pour protéger les victimes. Au lieu de s'offusquer de ce que coûteront les Shafia en prison, il ferait oeuvre utile en incitant son gouvernement à agir pour éviter que d'autres jeunes filles périssent «pour l'honneur» entre les mains de leurs proches.