Le député néo-démocrate de Winnipeg, Pat Martin, est connu à Ottawa comme un libre penseur à la langue bien pendue, mais sa sortie échevelée contre le gouvernement conservateur, la semaine dernière, en a surpris plus d'un.

Exaspéré au point de perdre ses bonnes manières les plus élémentaires, il a pourfendu sur son compte Twitter les conservateurs, qui venaient de mettre un terme aux débats entourant l'adoption du budget, pimentant ses commentaires du fameux mot anglais commençant par F.

L'affaire a fait grand bruit à Ottawa, dans la twittosphère et dans la classe médiatico-politique, où l'on s'entendait généralement pour dire que M. Martin avait dépassé les bornes.

Cela dit, le bouillant député a attiré 500 nouveaux abonnés à son compte Twitter presque instantanément, ce qui indique que malgré le ton peu parlementaire de son message, bien des gens partageaient son exaspération devant ce qui ressemble de plus en plus à un bulldozer en marche.

Le gouvernement Harper, maintenant majoritaire, a décidé d'adopter à toute vapeur ses projets de loi. Ce n'est pas une surprise pour le projet omnibus sur la criminalité, Stephen Harper avait promis de le faire adopter dans les 100 premiers jours d'un mandat majoritaire, mais tout le menu législatif est soumis au même rythme infernal. Depuis septembre, le gouvernement Harper a imposé sept bâillons, alors qu'il reste plus d'un mois de session et que sa majorité lui assure d'avoir le dernier mot. C'est le cas, notamment, du projet de loi sur le budget, adopté sous le bâillon la semaine dernière.

Au moment de clore le débat, des députés conservateurs ont invectivé leurs adversaires néo-démocrates à la Chambre des communes, les traitant de casse-pieds et affirmant que le débat, de toute façon, avait été fait durant la dernière campagne électorale qui les a menés à la majorité. Les commentaires des conservateurs ont fortement irrité les députés de l'opposition, dont Pat Martin, qui a laissé sa colère éclater sur Twitter.

Hier soir, nouveau bâillon, pour museler l'opposition sur l'abolition de la Commission canadienne du blé, qui était dans la ligne de mire des conservateurs depuis des années. «Un autre bâillon! a écrit Pat Martin sur Twitter. Je lancerais bien quelques mots choisis ici, mais je vais me retenir...»

Je répète, nous savions que Stephen Harper ne ferait pas dans la dentelle une fois majoritaire. Nous connaissions les priorités de son parti et les projets de loi battus lorsqu'il était minoritaire. Néanmoins, la rudesse avec laquelle le gouvernement Harper traite l'opposition, les provinces et quiconque ne pense pas comme lui étonne tout de même. Disons que ce n'est pas très «canadien» comme attitude, venant, justement, de quelqu'un qui aime se draper dans le patriotisme.

Pardonnez cet élan de candeur, mais il arrive, parfois, lorsqu'un chef atteint son but, que la partisanerie aveugle laisse place à un peu de magnanimité, un mot apparemment absent du vocabulaire de M. Harper et de ses principaux ministres.

Rappelons que ce gouvernement jouit d'une majorité aux Communes, mais qu'il n'a été élu que par 39,6% de Canadiens (16,5% au Québec, une province particulièrement malmenée par le bulldozer).

Lorsque Stephen Harper a déclaré, le soir de sa victoire, qu'il gouvernerait pour tous les Canadiens, il ne s'agissait apparemment que d'une formule creuse dénuée d'intention réelle de tendre la main aux «autres».

On savait que Stephen Harper n'a pas beaucoup de respect pour l'appareil d'État fédéral, infesté de libéraux selon lui, pour la Cour suprême, qui souffre du même mal, et pour les médias en général, mais cette fois, ce sont les provinces et l'institution du Parlement qui goûtent au mépris des conservateurs.

On ressent de plus en plus la désagréable impression que, pour M. Harper, les débats parlementaires représentent une perte de temps et que le Parlement n'est qu'un mal nécessaire tout juste utile à faire adopter ses projets de loi. Quant aux partis de l'opposition, ce sont des emmerdeurs qui retardent sa marche. Et s'ils osent poser des questions cruciales, sur le développement des sables bitumineux, par exemple, ils deviennent «indignes» de gouverner le Canada.

Québec n'est pas d'accord avec une réforme en profondeur du système de justice? On dépêche un sénateur (non élu, évidemment), obnubilé par la loi et l'ordre au point de nier la réalité des chiffres, pour répondre au ministre de la Justice. Au passage, on dénigre l'approche trop «soft on crime» du Québec et on reproche au ministre de ne pas avoir lu le projet de loi. Pour la charte du fédéralisme promise par Stephen Harper en 2005, on repassera.

Nous connaissions les priorités des conservateurs. Noir sur blanc. Mais était-il nécessaire d'en rajouter et de passer sur le corps de l'opposition? Cela fait revanchard. Comme cette décision mesquine de détruire les données du registre des armes d'épaule. Comme cette guerre contre CBC-Radio-Canada. Comme cette opposition absurde aux sites d'injection supervisée. Comme cet article dans le projet de loi sur la criminalité visant à priver de visite certains détenus. Comme ces nominations d'anglophones unilingues...

Lorsque Jean-Marc Fournier dit que ce n'est pas le gouvernement canadien qui gouverne à Ottawa, mais le gouvernement du Reform Party, on comprend qu'il essaie de favoriser ses intérêts politiques sur le dos du fédéral. Les querelles avec Ottawa sont généralement rentables électoralement pour le gouvernement du Québec.

N'empêche. Qu'un ministre du très fédéraliste gouvernement Charest se fasse ainsi recevoir comme un vendeur de balayeuses, ça en dit long sur ce que les conservateurs pensent du Québec.

Ce n'est pas écrit dans un tweet, mais ça se résume aussi par l'expression de sept lettres qui commence par F...