En août dernier, Stephen Harper a participé à un BBQ chez le maire de Toronto, son ami et partenaire d'expédition de pêche Rob Ford, profitant de l'occasion pour dire que le moment était venu pour les conservateurs de compléter le trio bleu en Ontario par une victoire aux élections provinciales.

Après la victoire de Rob Ford à la mairie de Toronto en novembre dernier, puis après la percée historique de ses conservateurs en Ontario, y compris dans des fiefs libéraux de Toronto, Stephen Harper rêvait tout haut de voir la gauche libérale battue aussi à Queen's Park.

« Nous avons fait le ménage du foutoir laissé au fédéral par la gauche, Rob fait la même chose au municipal et il est temps de compléter le tour du chapeau et de faire la même chose au provincial », avait lancé M. Harper devant plusieurs centaines de militants conservateurs réunis dans le jardin de la résidence du maire de Toronto.

M. Harper n'avait pas officiellement appuyé le leader conservateur Tim Hudak (en fait, il ne l'avait pas nommé), mais tout le monde avait compris que les conservateurs allaient mettre toute la gomme pour rafler l'Ontario.

On en a eu la preuve dans les derniers jours de la campagne, la semaine dernière, lorsque le ministre des Finances de Stephen Harper, Jim Flaherty, a plongé tête première en affirmant que l'Ontario n'avait pas les moyens de réélire les libéraux de Dalton McGuinty. Il est rarissime de voir un premier ministre fédéral, et plusieurs de ses ministres, s'aventurer aussi loin en territoire provincial.

L'enthousiasme des conservateurs fédéraux était visiblement prématuré. Dalton McGuitny a survécu, malgré la charge des Harper, Flaherty et Ford. L'intervention de dernière minute de Jim Flaherty a peut-être même joué contre eux, finalement, puisque les conservateurs n'ont pas réussi, malgré des gains dans une douzaine de comtés, à renverser Dalton McGuinty, qui est devenu hier soir le premier chef libéral ontarien en 125 ans à remporter un troisième mandat de suite. Les Ontariens, comme les Québécois, aiment bien garder un équilibre des forces entre leur gouvernement provincial et Ottawa.

Au moment de mettre sous presse, les résultats confirmés plaçaient les libéraux à un siège de la majorité, mais il était clair que les conservateurs n'avaient pas réussi la percée tant espérée. Il était clair aussi que le NPD ontarien, malgré une récolte plus abondante qu'aux élections de 2007, n'a pu surfer sur la vague orange ni sur le souvenir encore frais de Jack Layton.

La chef du NPD, Andréa Horwath se retrouve tout de même ce matin avec la balance du pouvoir entre les mains, ce qui n'est pas rien. De toute évidence, elle n'a pas l'intention de confronter le gouvernement McGuinty, elle qui a dit hier soir qu'elle voulait « travailler pour les Ontariens au cours des quatre prochaines années ».

Ces résultats provinciaux en Ontario sont importants sur la scène nationale parce que contrairement au Québec, les partis fédéraux et provinciaux sont intimement liés, comme le démontre l'implication des conservateurs de Stephen Harper, mais aussi des libéraux et des néo-démocrates fédéraux.

Les leçons de ces élections sont claires pour les conservateurs : il leur reste encore du travail à faire pour percer dans les zones libérales avant de reprendre Queen's Park. Il leur faudra aussi trouver un leader plus inspirant. Depuis Mike Harris, il y a 17 ans, les conservateurs n'ont pas été en mesure de trouver un chef capable de les mener à la victoire.

Il faudra aussi voir comment le gouvernement Harper et celui de Dalton McGuinty arriveront à travailler ensemble après une telle incursion des conservateurs fédéraux en territoire provincial. Surtout que la récession pointe le bout de son nez et que l'Ontario, le moteur économique du Canada, est mal en point avec un déficit de plus de 14 milliards et une industrie automobile fragile.

Hier, tout juste avant minuit, Stephen Harper a publié ce communiqué laconique : « Je félicite le premier ministre McGuinty pour sa campagne réussie et sa réélection pour un troisième mandat comme premier ministre de l'Ontario. Je me réjouis de travailler avec le premier ministre et son équipe alors que nous abordons des questions importantes pour les Ontariens et tous les Canadiens, y compris la création d'un pays plus prospère et plus sûr. »

Pour le NPD, les leçons sont encore plus rudes. Clairement, les Ontariens ne considèrent toujours pas le NPD comme une solution de rechange valable au pouvoir et la mémoire de Jack Layton n'a pas suffi à renverser cette perception.

Le seul espoir pour le NPD réside dans le fait qu'il manque un siège aux libéraux pour former un gouvernement majoritaire. Dalton McGuinty se retrouve à la tête d'un gouvernement minoritaire et il devra vraisemblablement se tourner vers le NPD pour survivre dans les moments difficiles.