Après une autre semaine éprouvante, les prochains jours s'annoncent plus agréables pour Jean Charest.

D'abord, cet après-midi, Stephen Harper débarquera à Québec (une très rare visite du premier ministre à la nation québécoise) avec un chèque de 2,2 milliards pour régler, enfin, le vieux litige de l'harmonisation des taxes de vente.

Puis, ô soulagement, Jean Charest part lundi pour un voyage de quelques jours en Europe. Quel plaisir pour le premier ministre que de rencontrer des investisseurs étrangers mis en appétit par nos abondantes ressources naturelles! Ça change du climat de dégoût qui règne au Québec depuis de trop nombreux mois.

Avant de partir, M. Charest en a toutefois pris plein la tronche, en particulier hier midi devant la Fédération québécoise des municipalités, réunie en congrès à Québec

«Comment faut-il vous le dire, que ça prend une enquête publique? Même la police vous le dit!», lui a lancé, d'emblée, le président de la FQM, Bernard Généreux.

Devant plus de 2000 élus municipaux et un premier ministre isolé, M. Généreux a ajouté: «Il est de votre devoir, comme chef d'État, de mettre fin à cette dérive de nos valeurs, d'éradiquer cette gangrène qui menace nos institutions et qui finit par dévaloriser nos fonctions d'élus.»

Les élus municipaux, qui sont aux premières loges des magouilles dans le domaine de la construction et des chantiers routiers, réclament le grand ménage depuis des années, eux aussi. On peut comprendre leur frustration d'entendre Jean Charest leur chanter le même refrain des enquêtes policières et du gouvernement «qui en fait plus que tout autre gouvernement avant lui». D'autant plus que, mardi, lorsque Jacques Duchesneau a comparu devant la commission parlementaire, les députés de Jean Charest ont fait de grands efforts pour essayer de démontrer que les problèmes de corruption sont surtout concentrés dans le monde municipal.

La réaction tout juste polie des dirigeants municipaux envers le premier ministre et la grogne de leur président démontrent bien que le courant ne passe plus entre Québec et les municipalités. On sent nettement la perte de confiance.

Autre perte de confiance, confirmée ces derniers jours, entre le chef de l'Unité anticollusion, Jacques Duchesneau, son supérieur Robert Lafrenière, patron de l'Unité permanente anticorruption, et le gouvernement.

Dans un long entretien avec ma collègue Michèle Ouimet, Jacques Duchesneau dit carrément: «L'UPAC, c'est pas fort.» Dans différentes entrevues qu'il a données dans les derniers jours, il dit aussi qu'il démissionnera avant la fin de son mandat en mars si le gouvernement ne donne pas une suite adéquate à son rapport. Il ajoute même qu'il continuera de militer pour qu'il y ait une enquête publique. Où? Comment? Avec quels moyens? Il ne le dit pas, mais il exclut catégoriquement de se lancer en politique.

M. Duchesneau dit qu'il n'a pas encore écrit sa lettre de démission, mais, dans les faits, il est déjà parti. Je ne vois pas comment il peut continuer son mandat après avoir exigé une enquête que le gouvernement ne veut pas faire et après avoir discrédité le travail de l'UPAC (qui dirige sa propre unité).

Plusieurs lecteurs et internautes m'ont reproché dans les derniers jours d'avoir dit et écrit que M. Duchesneau outrepassait son mandat en plongeant dans la mécanique d'une commission d'enquête. Je maintiens qu'il n'était pas du ressort de Jacques Duchesneau de s'aventurer dans ces eaux. Surtout pas d'en faire le point central de son témoignage et une condition sine qua non à la poursuite de son travail.

Le mandat de l'UAC était clair. Il est écrit noir sur blanc sur le site du ministère des Transports: «Prévenir la collusion dans l'attribution de tous les contrats dans lesquels le Ministère a une participation financière directe ou indirecte. L'unité déploiera à cette fin des mécanismes de détection de situations préjudiciables qui contribueront à favoriser la pratique loyale des affaires et la saine concurrence au sein des marchés.»

M. Duchesneau a fort bien rempli ce mandat, comme en témoignent son rapport et le fait que le gouvernement épargne déjà de l'argent dans les chantiers publics parce que les entrepreneurs se savent maintenant surveillés (M. Duchesneau évalue à 347 millions les économies réalisées).

Le travail de l'UAC n'est pas terminé. Il s'agit au contraire d'une entreprise de longue haleine. Même après une commission d'enquête publique, une unité comme l'UPAC serait encore nécessaire puisque, devant le crime organisé, on ne peut jamais baisser les bras. M. Duchesneau a raison de croire, comme l'ensemble de la société québécoise, qu'il faut une telle enquête, mais son rapport ne marque pas la fin des tentatives de collusion ou de fraudes.

Si M. Duchesneau ne fait plus confiance à l'Unité permanente anticorruption, s'il ne fait plus confiance au gouvernement, qu'il démissionne et qu'il poursuive le combat de l'extérieur.

Autrement, j'insiste, il y a confusion des genres.

Pour joindre notre chroniqueur:  vincent.marissal@lapresse.ca