Le député adéquiste François Bonnardel a souligné avec à-propos, hier matin sur son compte Twitter, que sa collègue Sylvie Roy a été la première à réclamer une enquête publique sur le milieu de la construction, il y a maintenant 30 mois.

C'est long, en politique, 30 mois. Dans notre monde hypermédiatisé, il est rare qu'une histoire dure plus d'une ou deux semaines. Alors, imaginez, 30 mois... Il doit bien y avoir, dans toutes ces affaires de corruption, plus que des allégations, n'en déplaise au premier ministre.

Une trentaine de mois - près de trois ans -, c'est une éternité pour le gouvernement Charest, mais aussi pour le Québec, qui continue de s'enliser dans la méfiance, dans le désabusement, dans une ambiance de grisaille mafieuse.

Pour la première fois, on sent aussi cette semaine poindre une certaine colère dans les réseaux sociaux. Bon, ce n'est tout de même pas le monde arabe. Nous sommes trop à l'aise pour lancer une révolution et nous sommes encore loin d'un automne québécois, mais il flotte comme une odeur de révolte sur les réseaux sociaux.

Cela se comprend aisément. Pour reprendre le jeu de mots de Stéphane Laporte dans nos pages, on nous prend vraiment pour des cônes. Chose certaine, la conférence de presse de Jean Charest, hier matin, n'aidera pas à calmer les esprits.

Jean Charest est en politique depuis tellement longtemps, il a survécu si souvent aux plus sombres pronostics, il sait fort bien que la meilleure défense, c'est l'attaque.

Il s'est donc présenté devant les médias avec deux ministres, dans un décor formel, l'éclair du bagarreur dans les yeux, pour dire que son gouvernement a fait plus que tous les régimes précédents dans la lutte contre la corruption. Pour le reste, a dit Jean Charest, c'est à la police de faire son travail et d'arrêter les bandits.

C'est de bonne guerre. Jean Charest ne dira tout de même pas que son gouvernement se traîne les pieds. Là où ça se gâte, toutefois, c'est quand il banalise les révélations du rapport Duchesneau, un rapport, faut-il le répéter, qu'il n'a même pas lu!

M. Charest n'a pas lu le rapport, mais son contenu l'a troublé, mercredi, selon son bureau. M. Charest n'a pas lu le rapport (dont parle tout le Québec depuis 48 heures), mais il en sait suffisamment pour dire aux Québécois de se méfier des allégations. M. Charest n'a pas lu le rapport, mais il est convaincu que nous n'avons pas besoin d'une enquête publique. Par ailleurs, M. Charest émet des réserves sur les «allégations» contenues dans le rapport Duchesneau, mais lui et ses ministres affirment que l'enquête Duchesneau fait la preuve que nous n'avons pas besoin d'une commission d'enquête. Le festival de la contradiction. Ou du déni, c'est selon.

Autre contradiction troublante: en public, le gouvernement dit avoir confiance en ses unités anticollusion et anticorruption, affirmant même qu'elles débusqueront les fraudeurs et les «abuseurs». Mais en privé, on me dit que de graves tensions règnent entre les deux unités, ce qui nuit évidemment au bon déroulement des opérations.

Au gouvernement, on croit que la fuite du rapport secret de Jacques Duchesneau, chef de l'unité anticollusion, a été orchestrée par... l'unité anticorruption. Une bonne vieille querelle de pouvoir et d'attributions entre flics.

Résumons: le gouvernement s'en remet à ses unités plutôt qu'à une enquête publique, mais il ne fait plus confiance aux dirigeants de ces unités. De plus, le gouvernement avoue que la fuite de cette semaine court-circuite la stratégie qu'il préconise, c'est à dire... les enquêtes de ses unités. Mais ne vous en faites pas, le gouvernement va faire le ménage, dit Jean Charest.

Il ne faut pas s'étonner, devant un tel spectacle, de voir la population s'impatienter.

La question, à ce stade-ci, est de savoir combien de temps encore le gouvernement pourra rester en porte-à-faux avec une population de plus en plus exaspérée.

Certains disent, non sans raison, qu'une commission d'enquête est l'équivalent du supplice de la goutte pour le gouvernement qui la lance.

Jean Charest le sait; c'est pourquoi il a toujours refusé d'ouvrir cette porte.

Mais après 30 mois de révélations, de questions à l'Assemblée nationale, de rapports, de gestion de crise et de mesures annoncées en catastrophe, bref, après 30 mois de déni, le gouvernement de Jean Charest est-il vraiment en meilleur état que s'il avait ouvert une enquête publique? Pas du tout.

Jean Charest a voulu éviter le supplice de la goutte, mais il endure celui de l'écartèlement depuis 30 mois.

Et pour combien de temps encore?

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