Quelques centaines de kilomètres en autocar sur les routes de l'Ontario en territoire conservateur, deux ou trois points de presse par jour, des entrevues à la radio et à la télé, deux engagements électoraux importants et de courtes nuits de sommeil...

Tout ça pour convaincre les électeurs ontariens que seul le NPD peut battre le Parti conservateur. Tout ça foutu en l'air en quelques minutes par la décision d'un candidat néo-démocrate du sud de l'Ontario d'abandonner la course et de se ranger derrière son adversaire libéral.

Après seulement cinq jours de campagne électorale, le pasteur Ryan Dolby a perdu la foi et jeté l'éponge: stratégiquement, a-t-il dit, il vaut mieux s'unir aux libéraux pour empêcher Stephen Harper d'obtenir une majorité.

M. Dolby a ainsi dit tout haut ce que bien des électeurs pensent tout bas.

Comment barrer la route aux conservateurs? Au Québec, j'ai entendu et lu cette question un nombre incalculable de fois depuis quelques jours.

En Ontario, c'est encore plus criant puisque c'est ici que le Parti conservateur peut obtenir (ou perdre) sa majorité. D'un simple point de vue mathématique, Jack Layton peut difficilement convaincre les électeurs que son parti est vraiment le seul rempart contre les bleus.

Il faut dire que la théorie de M. Layton aurait été plus convaincante s'il avait choisi des circonscriptions moins difficiles pour lancer son offensive ontarienne. Depuis mardi matin, il a sillonné les circonscriptions de Brant, où le NPD a terminé troisième en 2008 avec un déficit de 13 000 voix, Kitchener-Centre (troisième, 8000 voix), Oshawa (deuxième, 3000 voix) et Bramalea-Gore-Malton (troisième, 16 000 voix).

Le chef néo-démocrate voulait lancer le message que son parti vise haut. Il devra maintenant s'occuper prestement de ses circonscriptions, et de celles qu'il peut vraiment prendre.

Le NPD et son chef recueillent une bonne dose de sympathie, y compris au Québec, mais on ne prend pas le pouvoir avec de bons sentiments. Tout le monde aime «Jack», mais chaque fois qu'un de ses candidats le présente comme le prochain premier ministre du Canada, il y a comme un malaise dans la salle.

Jack Layton mène une bonne campagne, ses engagements électoraux sont parfaitement cohérents avec le créneau de son parti, les messages sont simples (parfois trop) et clairs, et la couverture médiatique est plutôt abondante, compte tenu du fait que le NPD a à peine plus de 10% des sièges aux Communes.

Cela dit, on a l'impression très nette, en suivant la campagne du NPD, que ce parti n'est pas maître de sa destinée, que le moindre mouvement d'humeur de l'électorat (la peur d'un Harper majoritaire, par exemple) peut souffler la moitié de ses députés.

Plus que jamais, on sent, au fil de cette campagne, que le salut du NPD passe par une coalition formelle avec les libéraux. C'est le seul moyen de faire contrepoids aux conservateurs, qui profitent de la division de l'aile gauche, comme Jean Chrétien profitait de la pagaille à droite.

Jack Layton y est favorable, mais on ne peut pas se marier tout seul. Ironiquement, le plus grand espoir du NPD se trouve probablement dans ce que M. Layton cherche tant à éviter le 2 mai: une majorité conservatrice, qui forcerait peut-être enfin un réalignement à gauche.

Pendant ce temps, chez Ignatieff...

Inutile, pour certains, mal nécessaire pour d'autres, cette campagne n'annonçait rien de très excitant. Le plus grand suspense était de savoir comment le petit nouveau, Michael Ignatieff, s'en sortirait, lui qui affronte 3 adversaires qui, ensemble, ont fait 11 campagnes.

Surprise, surprise, c'est le chef libéral qui s'en sort le mieux.

Tribun inégal - parfois bon, parfois franchement mauvais -, il n'est pas une bête politique, mais il se concentre sur son message, son ton est respectueux envers ses adversaires et ses premiers engagements ont été bien accueillis. L'aide aux étudiants a réussi, fait rare, à plaire à la fois au monde de l'éducation et aux étudiants, en plus d'être bien reçue dans les médias.

Localement, l'organisation de la campagne connaît des ratés, en particulier au Québec, où il manque encore plusieurs candidats (ce qui est vrai aussi des conservateurs).

Les libéraux doivent de toute urgence régler le cas de Laval-les-Îles, l'une de leurs rares forteresses, abandonnée au jour 1 de la campagne par Raymonde Folco. Les candidats se bousculent littéralement (ils seraient une trentaine!), mais il semble que l'ex-députée d'Ahuntsic Eleni Bakopanos soit favorite.

Mais la campagne nationale se déroule rondement, sans anicroche. Rien de révolutionnaire - les libéraux défendent un programme... libéral. Et ils s'y tiennent.

La grande surprise de cette jeune campagne, à ce jour, c'est le mauvais départ des conservateurs.

Non seulement M. Harper est constamment ralenti par des problèmes internes, mais, de plus, son obsession pour cette hypothétique coalition n'arrive plus à cacher la minceur de son programme.

Les électeurs savent maintenant que M. Harper redoute une coalition s'il n'est pas élu. Ils voudraient maintenant savoir ce qu'ils obtiendraient avec un gouvernement conservateur majoritaire.