Malgré les accusations qui fusent déjà de toutes parts, les 48 premières heures de cette drôle de campagne auront au moins permis de clarifier un enjeu crucial: quelles sont les options possibles au lendemain du vote.

Ce sera assurément un gouvernement rouge ou bleu, majoritaire ou minoritaire. Une des options, qui plaisait pourtant à bien des électeurs, en particulier au Québec, vient toutefois de tomber: exit la coalition, a tranché Michael Ignatieff.

«J'exclus de former un gouvernement de coalition. C'est mon engagement envers la population canadienne», a lancé le chef libéral, samedi, jour un de la campagne. Voilà qui a le mérite d'être clair.

On a toujours su que Michael Ignatieff n'a jamais été chaud à l'idée d'une coalition avec le NPD et appuyée par le Bloc québécois. En décembre 2008, lorsque Stéphane Dion a officialisé un tel projet pour remplacer le gouvernement chancelant, tous ses députés, y compris M. Ignatieff, avaient signé une lettre d'appui. Mais, manifestement, pour Michael Ignatieff, le coeur n'y était pas et, une fois élu à la tête du Parti libéral, quelques mois plus tard, il s'est empressé de jeter cette entente au panier.

La question qui se pose aujourd'hui, c'est pourquoi avoir signé ce document s'il n'y croyait pas, si cette solution le rebutait? Pour suivre la ligne de parti? Pour faire comme les autres? Pour obtenir un poste de ministre? Pas très convaincant, tout cela.

Idem pour Stephen Harper, qui a bel et bien eu des pourparlers avec le Bloc et le NPD au sujet d'une possible coalition en 2004, sous le régime libéral de Paul Martin. Il semble bien que cette solution était moins illégitime à ses yeux qu'elle ne l'est aujourd'hui. Tout le monde a bien vu, hier, lors d'un point de presse agité, que M. Harper est lui aussi sur un terrain glissant.

La hantise d'une coalition est profondément ancrée chez M. Harper, qui a failli être renversé par le trio Dion-Layton-Duceppe en décembre 2008. Depuis ce jour fatidique où il a dû aller plaider longuement sa cause devant la gouverneure générale de l'époque, Michaëlle Jean, Stephen Harper parle d'une telle coalition comme d'une infamie innommable et d'une menace épouvantable pour le Canada.

Cela dit, ce débat sur cette hypothétique coalition, sciemment lancé et entretenu par Stephen Harper, a rempli son objectif premier: faire diversion sur les raisons de la chute du gouvernement, cette fameuse motion de censure provoquée par un outrage au Parlement.

Les chefs des trois partis de l'opposition ont bien tenté de le rappeler aux électeurs, mais la coalition a pris toute la place en ce début de campagne.

Entre devoir se défendre d'accusations d'outrage au Parlement pour cause de manque de transparence et accuser ses adversaires de fomenter une prise du pouvoir «illégitime» en formant une coalition, le choix est évident pour Stephen Harper.

Après la pétarade de la fin de semaine autour de ces projets réels ou imaginaires de coalition, où en sont les partis ce matin?

Au Québec, le Bloc a connu un bon début de campagne. D'abord, c'est Gilles Duceppe qui a ressorti cette fameuse lettre de Stephen Harper à propos d'un projet de coalition en 2004.

Et puis, le rejet net et sec de toute coalition par Michael Ignatieff risque de déplaire à bien des Québécois plutôt favorables à cette option. C'est tout bon pour Gilles Duceppe.

Ailleurs au pays, l'impact du débat autour d'une éventuelle coalition nous ramène à une dynamique de campagne plus classique: libéraux et néo-démocrates dos à dos, sans rapprochement possible, ce qui ne déplaira pas à Stephen Harper.

Les prochains sondages nous indiqueront qui a gagné la bataille de la coalition, mais le chef conservateur a parfaitement respecté son plan de match de début de campagne: se présenter comme le seul chef capable de former un gouvernement majoritaire stable et dépeindre ses adversaires comme des cachottiers qui veulent usurper le pouvoir en formant une coalition néfaste pour l'économie canadienne.

M. Harper ne pourra toutefois pas faire campagne là-dessus pendant 35 jours. Il devra aussi nous dire ce qu'il veut faire avec cette majorité tant souhaitée.

Quant aux partis de l'opposition, ils devront se mettre à talonner les conservateurs et exiger qu'ils dévoilent leurs priorités, au lieu de tomber dans le piège de la coalition.

Cette première fin de semaine, et son lot de sondages, auront aussi confirmé que les libéraux de Michael Ignatieff partent de loin. Très loin. Le seul point positif pour les libéraux, c'est qu'il est encore très tôt dans la campagne.

M. Ignatieff devra y mettre plus d'ardeur, plus d'enthousiasme. Et de la viande sur l'os, pas seulement le réchauffé auquel on a eu droit hier midi dans un restaurant de la circonscription d'Ahuntsic.

Ce premier discours au Québec était attendu, d'autant plus que les libéraux eux-mêmes avaient convoqué les médias à un «discours majeur», ce qui a évidemment fait monter les attentes.

Le chef libéral s'en est beaucoup mieux sorti, hier soir, dans la salle bondée (environ 1000 militants) de la TOHU, dans le quartier Saint-Michel.

«Il a changé, il est beaucoup mieux qu'avant», m'a dit un militant croisé à la sortie de la salle.

C'est précisément le pari de l'entourage de M. Ignatieff: faire découvrir un nouveau «Iggy».

Il reste 35 jours pour y arriver.