Lorsque Ken Dryden est arrivé en politique, en 2004, l'un de ses premiers gestes à titre de ministre avait été d'envoyer une note de service à tout le personnel de son ministère qui disait en gros ceci: «Bonjour, je me présente: Ken Dryden. Il est vrai que j'ai déjà été joueur de hockey professionnel, mais je suis maintenant le ministre Ken Dryden.»

Par pudeur et par mesure de précaution. M. Dryden passait un double message: je suis ici non pas grâce à ma renommée d'ex-joueur de hockey, mais parce que j'ai été élu, et il est inutile de faire la queue devant mon bureau pour faire autographier votre vieux chandail du Canadien.

S'il faisait parfois référence aux belles années de la rivalité Canadien-Flyers pour motiver ses collègues avant des votes cruciaux aux Communes, M. Dryden n'a jamais tenté de tirer profit politiquement de son passé glorieux.

Le hockey n'est qu'un lointain souvenir pour Ken Dryden, qui a dû emprunter l'équipement de Carey Price la dernière (et seule fois) où il a rejoué, lors des célébrations du 100e anniversaire de son ancienne équipe.

Mais les temps sont durs pour les libéraux, l'argent se fait rare, et M. Dryden a dû se résigner à sortir des boules à mites son fameux chandail no 29 et à revenir sur la glace montréalaise pour quelques heures, le temps d'amasser un peu d'argent pour éponger sa dette de la course à la direction du PLC en 2006.

Du moins, c'est ce qui était prévu. Pour 1000$, les partisans de M. Dryden auraient eu droit à un brunch au Centre Bell, à quelques tours de patinoire en patins, à une visite du Temple de la renommée de l'équipe, le tout en compagnie d'ex-coéquipiers de M. Dryden.

Devant le peu d'intérêt des partisans (seulement une douzaine de billets vendus) et pour ne pas nuire aux autres activités de financement du PLC à l'orée d'une possible campagne, l'événement a été remis à une date indéterminée. Comme il devait louer le Centre Bell (Réjean Houle est toujours prêt à aider les anciens du Canadien, dit-on, mais le CH ne peut pas et ne veut pas soutenir des activités politiques partisanes), Ken Dryden n'aurait même pas couvert ses frais.

Pas facile de récolter de l'argent ces années-ci pour les libéraux.

La grande majorité de la population ne s'en souvient probablement pas, mais M. Dryden était l'un des neuf candidats dans la course à la succession de Paul Martin. Plus de quatre ans ont passé, et sept de ces neuf aspirants traînent toujours une dette. Ken Dryden doit toujours 285 000$ à ses créanciers; Stéphane Dion, 30 000$; Joe Volpe, Martha Hall Finlay et Gerard Kennedy, respectivement 140 000$, 125 000$ et 115 000$.

Le problème est à ce point tenace et embarrassant que le chef Michael Ignatieff a engagé une personne (Anna Gainey, fille de Bob - décidément, on reste dans la sainte Flanelle) dont le mandat est de coordonner les activités de financement pour régler toutes ces dettes dans les prochains mois. Évidemment, le déclenchement d'une nouvelle campagne viendrait bousiller ces plans...

Ça ne va vraiment pas fort pour les libéraux fédéraux, comme le confirment les chiffres de financement des partis compilés par notre bureau d'Ottawa. En bref, les conservateurs récoltent deux fois et demie plus d'argent que leurs principaux rivaux.

La remontée des conservateurs en Ontario accentue la concurrence et, au Québec, c'est une véritable catastrophe, disent certains organisateurs.

En fait, la fuite des donateurs ne touche pas que le grand public, elle se ressent aussi dans les rangs libéraux. Selon les registres d'Élections Canada, les députés Denis Coderre, Pablo Rodriguez et Stéphane Dion n'ont pas contribué à la caisse de leur parti en 2010 (les 10 autres députés libéraux du Québec ont versé entre 250$ et le maximum permis de 1100$), pas plus que les anciens chefs Paul Martin et Jean Chrétien ou que le candidat vedette dans Outremont, Martin Cauchon.

Des sources libérales affirment que l'association de circonscription de Denis Coderre, dans Bourassa, n'a même pas versé les 5000$ obligatoires au PLC-Québec. Difficile, après, de convaincre les militants de participer à l'effort de guerre.

On comprend mieux, devant de tels chiffres, l'empressement de Stephen Harper à réduire le financement public des partis politiques, ce qui se traduirait vraisemblablement par une asphyxie fatale pour les libéraux.

Certains députés du PLC croient que leur parti pourrait s'ajuster et survivre sans fonds publics, mais leur parti n'a donné aucune preuve en ce sens depuis l'interdiction des dons des entreprises, en 2003.

Un ancien stratège et chef de cabinet de Stephen Harper, l'universitaire de Calgary Tom Flanagan, a déjà décrit en toutes lettres le mode d'emploi pour faire disparaître le Parti libéral: lui couper les vivres publics et l'épuiser de campagne en campagne ainsi que par une suite de ruineuses courses à la direction.

Si vous doutez encore de la détermination de Stephen Harper d'en finir avec l'«ennemi», je vous suggère la lecture du long article qui lui est consacré dans le numéro courant du magazine Macleans.