Il n'est jamais trop tard pour bien faire, paraît-il.

Près de deux ans après le début du lock-out au Journal de Montréal, les députés libéraux membres de la commission de l'économie et du travail affirment publiquement être «inquiets» de la durée de ce conflit, le plus long de l'histoire des médias au Québec.

Les députés libéraux ont donc décidé de convoquer, en janvier prochain, le propriétaire du Journal et grand patron de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, devant leur commission, qui entendra aussi les syndiqués.

Il était plus que temps que les élus à Québec se mettent le nez dans ce conflit pourri. La durée de ce lock-out a, en effet, de quoi les inquiéter, surtout qu'il semble ne jamais vouloir prendre fin. Et ses répercussions sur le monde du travail du Québec, par ailleurs civilisé, ne peuvent être que néfastes.

Au coeur du débat: la loi anti-briseurs de grève et ses dispositions complètement dépassées aujourd'hui. Lorsque cette loi a été écrite en 1997, elle visait à empêcher des briseurs de grève (ou de lock-out dans ce cas-ci) de traverser un piquet de grève pour entrer faire le travail des salariés mis à la rue.

Aujourd'hui, on peut «traverser» virtuellement un piquet de grève en travaillant à distance de l'«établissement» touché par le conflit de travail, ce qui permet au Journal de Montréal de remplir ses pages tous les jours depuis près de deux ans avec des textes de collaborateurs spéciaux et grâce à sa propre agence, créée tout récemment, QMI.

Des voix s'élèvent pour revoir la loi et redéfinir, par exemple, la notion d'«établissement».

C'est, finalement, assez simple: que l'on traverse un piquet de grève en jouant du coude ou virtuellement, le résultat est le même, on comble l'absence de salariés qui devraient normalement être à leur poste.

Pourquoi ça bloque, alors? Pourquoi a-t-il fallu deux ans aux élus pour qu'ils décident de commencer à discuter de la question? Réponse courte: parce que c'est un tabou. Et parce qu'ils craignent de s'attaquer à un empire puissant et omniprésent.

Mais il y a autre chose. Selon des sources gouvernementales de très haut niveau, c'est la CSN et sa présidente, Claudette Carbonneau, qui bloquent, elle qui représente pourtant les syndiqués du Journal. Mme Carbonneau aurait, dit-on à Québec, demandé à Jean Charest de ne pas ouvrir cette porte de peur de voir le patronat s'y engouffrer pour exiger des concessions plus importantes encore en contrepartie.

Le gouvernement libéral a accueilli très favorablement une résolution de l'aile jeunesse du PLQ, en août dernier, demandant une révision de la loi, ajoute-t-on. Le premier ministre Charest et sa ministre du Travail, Lise Thériault, y seraient plutôt favorables, mais la CSN ne montrerait pas le même empressement.

Faux, rétorque Claudette Carbonneau, qui affirme au contraire faire des pieds et des mains pour faire bouger les élus, aussi bien ceux du gouvernement que de l'opposition.

Mme Carbonneau veut éviter une longue bataille juridique contre Quebecor et ne veut surtout pas rouvrir tout le Code du travail, mais elle réclame une modernisation de la loi anti-briseurs de grève.

Selon la présidente de la CSN, ce sont les élus qui ont peur du tabou des briseurs de grève.

«On a tout de même avancé ces derniers temps, dit-elle. On a eu une résolution unanime de l'Assemblée nationale pour étudier la question, un projet de loi de l'opposition en ce sens après que nous ayons fait beaucoup d'efforts et, ce matin, la convocation de Pierre Karl Péladeau.»

Mais alors, si tout le monde s'entend, on devrait au moins pouvoir briser le tabou, non?

Ce n'est pas si simple. Au sein du gouvernement, on décrit Quebecor comme un «éléphant dans un magasin de porcelaine» et un éléphant, c'est encombrant.

On pourrait même dire «un éléphant dans un Colisée», puisque comme chacun sait, Pierre Karl Péladeau est très intéressé à devenir propriétaire d'une future équipe de hockey de la LNH à Québec. Un futur Colisée financé en grande partie par des fonds publics.

«Il y a comme un malaise», conclut un membre très haut placé du gouvernement Charest.