Au Québec, il n'y a qu'un débat sur la langue pour provoquer dans notre classe politique de tels écarts... de langage.

Vrai, il n'est jamais élégant, et il est généralement malavisé politiquement, d'adopter des projets de loi par l'imposition du bâillon, surtout sur un sujet aussi explosif que la langue.

Vrai, le gouvernement du Québec, fidèle à lui-même, n'a pas réussi à trouver les mots et la stratégie de communication susceptibles de convaincre et de rassurer les Québécois.

Mais de là à parler de l'un des «pires coups portés au français» et d'abandon du peuple québécois, comme l'a fait hier Pauline Marois, il y a une marge qui ne s'explique que par l'air empoisonné des débats à l'Assemblée nationale.

À force d'en beurrer trop, le Parti québécois devient même parfaitement contre-productif.

J'aime bien la fougue et la verve de Pierre Curzi, sa maîtrise exemplaire du français aussi. Mais lorsqu'il affirme que l'imposition du bâillon est «l'équivalent de la Loi sur les mesures de guerre sur la scène parlementaire», je pense qu'il débloque.

Lorsque son collègue Benoit Charrette affirme que le gouvernement Charest «se met à genoux devant une Cour suprême qui n'a aucune légitimité au Québec», il oublie que la même Cour suprême a conclu, à la grande satisfaction des souverainistes, que la souveraineté du Québec est légale et que le reste du Canada aurait, avec certaines conditions, le devoir de négocier.

Il oublie aussi que le fait que le Québec n'ait pas signé la Constitution n'a pas empêché Pauline Marois, du temps où elle était ministre de l'Éducation, de se rendre à Ottawa pour réclamer (et obtenir) un amendement constitutionnel pour la création des commissions scolaires linguistiques.

Les péquistes sont frustrés à cause du bâillon, mais ils le sont surtout de voir le gouvernement manoeuvrer pour essayer de tuer dans l'oeuf un mouvement de contestation. Ils accusent le gouvernement d'avoir attendu à la dernière minute pour déposer un projet de loi et ainsi justifier le recours au bâillon.

Par ailleurs, il est facile (et probablement de bonne guerre) de la part du Parti québécois de prôner aujourd'hui une solution beaucoup plus forte, soit l'application de la loi 101 à toutes les écoles, quitte à recourir à la clause dérogatoire. Il est toutefois beaucoup plus délicat d'expliquer pourquoi il ne l'a pas fait lorsqu'il était au pouvoir.

La réalité, c'est qu'il n'y a jamais, quoi qu'en disent Pauline Marois et ses députés, de solution facile et instantanée dans les dossiers linguistiques puisque ceux-ci touchent à la fois au politique, au social et au juridique. Avec une bonne dose d'émotivité puisqu'il est aussi question d'identité.

D'où l'importance de respirer par le nez et de garder les débats dans leur juste perspective.

Première mise au point: les chiffres, soit le nombre d'élèves qui fréquentent une école strictement privée et l'argent nécessaire pour les y inscrire.

Savez-vous combien on compte au Québec d'écoles privées non subventionnées touchées par la loi en question? Neuf.

Et combien d'élèves fréquentent ces neuf écoles? Deux mille quatre cent soixante-huit.

Sachant qu'inscrire ses enfants à ces écoles coûte des dizaines de milliers de dollars par année, et compte tenu de leur petit nombre, peut-on vraiment parler de grave menace imminente pour la survie du français au Québec?

D'autant plus que l'autre solution, celle que propose le PQ, provoquerait la fermeture pure et simple de ces écoles et l'abolition du choix, pour les parents, d'envoyer à leurs frais leurs enfants dans des institutions privées non subventionnées.

Autre mythe largement véhiculé dans ce débat: les immigrés tourneront massivement le dos au système scolaire francophone pour envoyer leurs enfants dans les écoles privées non subventionnées pendant trois ans, soit le temps d'«acheter» le droit de continuer dans le système public anglophone.

D'abord, il faudrait encore que les immigrants en aient les moyens, ce qui est hautement douteux, selon toutes les données socioéconomiques de l'immigration.

Et puis il ne faut pas oublier que la grande majorité des parents qui choisissent de payer de leur poche pour inscrire leurs enfants à une école privée non subventionnée sont des... francophones de souche.

On peut ne pas comprendre ces parents ou poser un jugement moral sur leur motivation, mais est-il raisonnable de légiférer pour les priver du droit de choisir? Je répète: il est question ici de quelques centaines d'élèves.

Petite anecdote pour illustrer mon propos.

Il y a quelques années, tout le monde s'en souviendra, le Canadien de Montréal voulait embaucher Daniel Brière.

Comme M. Brière et sa femme voulaient que leurs enfants étudient en anglais, le Canadien avait demandé au ministère de l'Éducation une exemption pour qu'ils puissent fréquenter une école anglaise subventionnée. Le ministère de l'Éducation avait refusé, mais rien n'aurait empêché Daniel Brière d'inscrire ses enfants à une école privée non subventionnée.

Avec la solution proposée par le PQ, ce choix disparaîtrait par le recours à la clause dérogatoire, la «bombe atomique» législative au Québec.