Il y a eu le mystère de l'encre des notes de Marc Bellemare, puis des doutes sur la fraîcheur de la colle des Post-it d'un ancien sous-ministre et, maintenant, dernier rebondissement étonnant à la commission Bastarache, l'énigme de la disquette contenant l'agenda de l'ancien ministre.

Voilà tout un lapin que vient de sortir Marc Bellemare de son chapeau: sa femme a apparemment retrouvé, dans une boîte oubliée, son emploi du temps à l'époque où il était ministre de la Justice.

Attention: peut contenir des traces du fameux rendez-vous du 2 septembre, a dit en gros le clan Bellemare, hier matin.

On en saura plus long aujourd'hui mais, à première vue, c'est embêtant pour Jean Charest, qui n'a aucun souvenir de cette rencontre, laquelle ne figure d'ailleurs pas dans le registre officiel du bureau du premier ministre.

À supposer que l'on retrouve, en effet, des traces de cette rencontre, cela ne veut pas dire que Jean Charest a menti, mais cela minerait sérieusement sa crédibilité, lui qui a affirmé que, si un ministre était venu se confier à propos de pressions politiques indues, il s'en souviendrait. Déjà que l'immense majorité des Québécois ne le croit pas...

L'énigme de la disquette oubliée devrait être dissipée ce matin mais, en attendant, le témoignage fort attendu de Chantal Landry - «madame Nominations» du gouvernement Charest - aura permis de confirmer trois choses que l'on savait déjà: le cheminement de la liste des candidats sélectionnés pour un poste de juge n'est pas parfaitement étanche, l'allégeance politique est bel et bien prise en compte et il existe des liens extrêmement serrés entre le Parti libéral, quelques collecteurs de fonds et le processus des nominations gouvernementales.

L'étanchéité d'abord

Mme Landry a confirmé qu'elle voyait la liste des candidats retenus, qu'elle la gardait parfois jusqu'à deux semaines à son bureau. Elle a ajouté qu'un autre ministre (en plus de Norm MacMillan et Michel Després) est intervenu avant une nomination, soit Jacques Dupuis, à qui elle avait demandé des renseignements sur les candidats. L'ancien ministre Dupuis n'a pas fait de recommandation; il a seulement discuté des noms sur la liste, a précisé Mme Landry. La ligne, on l'admettra, est plutôt mince.

Le témoignage de Chantal Landry, malgré ses nombreux trous de mémoire, aura été instructif puisqu'il démontre l'existence d'un profond mélange des genres.

Il n'y a rien d'illégal dans la façon de fonctionner du bureau du premier ministre, et personne à ce jour n'a remis en question la compétence des gens qu'il a nommés. On peut même arguer, comme l'ont fait Jean Charest et Chantal Landry, qu'il est du devoir du chef du gouvernement de nommer les juges.

Mais pourquoi indiquer sur les dossiers de candidature la couleur politique des aspirants juges?

«Comme ça! a sèchement expliqué Mme Landry. Si je le savais ou que je le pensais, je l'indiquais.»

Curieusement, personne ne lui a demandé ce qu'elle écrivait sur le CV. Une note «PLQ»? Un trait de crayon rouge? Un bonhomme sourire?

Et lorsque le candidat est un péquiste notoire, ou un adéquiste, ou un non-pratiquant politique, est-ce que Mme Landry mettait aussi une note?

D'emblée, Mme Landry, visiblement tendue, a expliqué que, dans notre système, c'est d'abord un parti politique qui gouverne la province, ce qui explique son titre d'agent de liaison avec le PLQ.

Il me semble que ce devrait être le contraire: d'abord un gouvernement, le parti après. Avec un épais mur coupe-feu entre les deux. Ne dit-on pas toujours, en politique, «la patrie avant le parti et le parti avant les individus»?

Le mélange des genres est là, flagrant: la personne responsable des nominations n'a pas d'expérience de gestion dans la fonction publique ou au gouvernement. Son background est purement politique. Elle est d'abord une militante qui suit assidûment les activités partisanes de son parti depuis des décennies.

Chaque fois que Chantal Landry entre dans une pièce remplie de militants libéraux, pensez-vous que ceux-ci disent: «Tiens, voilà une bonne militante libérale» ou plutôt «Tiens, voilà madame Nominations»?

Poser la question, c'est y répondre.