Maintenant que Jean Charest a passé deux jours «dans la boîte», la question que plusieurs se posent - et celle que poseront les prochains sondages - est de savoir s'il a su convaincre une partie de l'opinion publique de croire sa version plutôt que celle de Marc Bellemare.

La réalité, c'est que Jean Charest a déjà épuisé en grande partie sa réserve de sympathie et ce, avant même de comparaître devant la commission Bastarache. La bataille de l'opinion publique, il l'a déjà perdue même si son témoignage était solide.

De toute façon, sa «première priorité», pour reprendre une de ses expressions fétiches, n'est pas tant de renverser le jugement de l'opinion publique que de convaincre le juge Bastarache qu'il n'a rien à se reprocher dans le processus de nomination des juges.

Le but du témoignage de Jean Charest visait surtout à éviter un blâme dans le futur rapport du commissaire Bastarache.

Pour un premier ministre, même pour un ex-premier ministre, ça pèse, un blâme dans une commission d'enquête publique. C'est comme une tache. Ça reste et ça revient chaque fois que l'on fait le bilan de sa carrière.

Pour démontrer sa probité, Jean Charest devait d'abord démolir la crédibilité de son accusateur, son ex-ministre de la Justice, Marc Bellemare. Il n'a d'ailleurs rien négligé pour y arriver.

Jeudi, d'entrée de jeu, il a dépeint M. Bellemare comme un homme solitaire, boudeur et colérique, dont la carrière politique a été un échec et qui ne comprend rien à la mécanique d'un gouvernement. À un moment, le premier ministre a même laissé entendre que son ex-ministre était très pressé de démissionner pour éviter de tomber sous le coup d'une nouvelle loi sur les lobbyistes.

Évidemment, M. Charest a aussi affirmé que M. Bellemare mentait à propos du contenu de certaines rencontres avec lui, voire qu'il ment sur la tenue même de certaines rencontres.

La seule conclusion à laquelle on peut en arriver pour le moment, c'est que l'un des deux hommes n'a pas dit «toute la vérité». Ce sera au commissaire Bastarache de trancher, mais en l'absence de preuve matérielle de la fameuse réunion du 2 septembre, difficile d'accréditer les allégations de Marc Bellemare.

La position de Jean Charest est toutefois plus bancale en ce qui a trait au cheminement de la liste des candidats à la magistrature à travers les hautes instances gouvernementales.

On a ainsi appris que Jean Charest tenait à voir les fameuses «listes courtes» (qui transitent par sa responsable aux nominations, Chantal Landry) avant de faire une suggestion au ministre de la Justice. M. Charest se justifie en disant que c'est le gouvernement qui nomme les juges et qu'en tant que chef du gouvernement, c'est lui qui décide. Ses prédécesseurs ne voyaient toutefois pas les choses ainsi, laissant au ministre de la Justice le soin de choisir les magistrats.

L'interventionnisme de M. Charest a déjà fait tiquer le commissaire Bastarache, en mai dernier, lorsque l'ex-ministre de la Justice, Kathleen Weil, avait admis qu'elle «consultait son patron» avant de choisir.

«Normalement, je pense qu'au Québec, le premier ministre reçoit comme les autres (membres du Conseil des ministres) la recommandation du ministre de la Justice. Ça cause toujours un problème s'il ne suit pas le système établi», avait commenté M. Bastarache.

On verra quelle conclusion il tirera de la «méthode Charest».

Chose certaine, on est loin ici du Jean Charest qui ne s'intéressait pas aux affaires de justice, comme l'a dit Marc Bellemare dans son témoignage.

Curieusement, son avocat, Jean-François Bertrand, a plutôt tenté de démontrer hier que le premier ministre, au contraire, s'y intéresse un peu trop.

Bonhomme et Maclean's

Si la direction de Maclean's voulait faire parler de son magazine au Québec, c'est réussi! (voir autre texte en A10)

Que Maclean's ressasse les cas et les allégations de corruption au Québec, soit, ce sont des faits qui ont été largement couverts par les médias d'ici aussi.

Que Maclean's affuble le Québec du titre de la province la plus corrompue du Canada, voilà un titre-choc, mais pas complètement dénué de vérité.

Mais que Maclean's se lance dans une analyse politico-ethnologique à cinq cents (signée par un chroniqueur, Andrew Coyne, qui ne parle pas un mot de français et qui ne connaît pas le Québec) pour affirmer que la corruption réside dans les gênes du Québécois moyen, notamment à cause de la tare du nationalisme, cela est parfaitement risible.

On peut légitimement s'offusquer de telles âneries, mais franchement, elles font plus de mal à leur auteur et au magazine qui les publie qu'à la «tribu» dont elle prétend avoir percé les secrets.