«Le Nouveau-Brunswick a annoncé qu'il vendait sa société productrice d'électricité au Québec, se soulageant ainsi du... lourd poids de l'indépendance énergétique! Quelques alarmistes croient que c'est une mauvaise idée de confier son chauffage et son éclairage au Québec, mais pour cela, il faut penser que les Québécois placeront leurs intérêts devant ceux de leurs voisins. Voyons donc, ils sont bien trop patriotiques pour faire ça! Félicitations, Nouveau-Brunswick, c'est un grand jour pour célébrer... et peut-être aussi pour prendre une dernière douche chaude!»

Bien sûr, c'est de l'humour, mais chez Rick Mercer (Rick Mercer Report. CBC, extrait du 4 novembre 2009, visible sur YouTube en tapant «Rick Mercer Quebec»), comme chez John Stewart ou Stephen Colbert, le sarcasme cache souvent un fond de vérité.

 

Le fond de vérité à propos de l'achat d'Énergie Nouveau-Brunswick par Hydro-Québec, c'est que cette transaction avortée a provoqué dans les derniers mois des craintes légitimes dans la population de cette province, mais aussi un fort courant anti-Québec de Saint-Jean de Terre-Neuve à Toronto. Et même plus loin, vers l'Ouest.

Le «Québec bashing» fait un retour en force depuis quelque temps au Canada. On l'a constaté avec le débat sur le peu de place faite au français à la cérémonie d'ouverture des Jeux de Vancouver, le mois dernier.

Rebelote cette semaine autour de la déclaration de Gilles Duceppe sur les «résistants» bloquistes. Le débat a rapidement dérapé dans la blogosphère, s'éloignant des propos de M. Duceppe (et surtout du contexte) pour dégénérer en attaques primaires contre le Québec, contre les Québécois, contre la loi 101, alouette.

Au Nouveau-Brunswick, la méfiance envers le Québec était palpable depuis qu'Hydro-Québec a annoncé l'achat de sa petite cousine des Maritimes. Bien des Néo-Brunswickois s'opposaient tout simplement à la vente d'une de leurs sociétés d'État à une autre province. Cela se comprend fort bien, mais le fait que cette province soit le Québec n'a fait qu'accentuer la grogne.

Ajoutons à cela les sorties en règle du premier ministre de Terre-Neuve, Danny Williams, et tous les ingrédients d'un échec sont réunis.

Danny Williams confirme son statut d'homme fort du bloc de l'Est. Pour le Québec et le Nouveau-Brunswick, par contre, c'est toute une douche froide.

C'était prévisible, cela dit. Mettez-vous à la place des gens du Nouveau-Brunswick. Voir débarquer la grosse province d'à côté dans votre patrimoine collectif, dans vos affaires les plus précieuses, à une époque où l'énergie est convoitée comme jamais, cela ne peut évidemment passer comme une lettre à la poste.

D'autant plus que le moment était particulièrement mal choisi pour orchestrer une telle transaction. Mauvais timing et mauvaise stratégie de communication.

Les élections générales auront lieu le 18 octobre au Nouveau-Brunswick. Lorsqu'on veut se lancer dans de tels projets, mieux vaut le faire au début d'un mandat qu'à la fin, question d'avoir les coudées franches. Rappelons que Fredericton ne vendait pas ici du mobilier excédentaire, mais bien sa société d'État productrice d'électricité.

L'opposition, politique et populaire, a bien fait son boulot, notamment en canalisant un fort mouvement de mécontentement sur le web et en organisant de bruyantes manifestations.

Si bien que, dans les dernières semaines, le gouvernement libéral de Shawn Graham a perdu des plumes et chuté à 15% de taux de satisfaction, le plus bas au pays pour un gouvernement provincial.

Shawn Graham savait que ce débat allait se transporter devant des audiences publiques au mois d'avril avant de revenir à la législature pour le vote définitif, à la fin mai. Trop risqué.

Avant de se lancer dans pareille aventure, il aurait mieux valu établir un plan de communication efficace pour convaincre les Néo-Brunswickois qu'il s'agissait d'une bonne affaire pour eux (ce qui était le cas). Tarifs d'électricité plus bas et gelé pour des années, plus 3,2 milliards pour éponger les dettes de leur province. En prime, Hydro-Québec héritait du problème de la vieille centrale nucléaire de Pointe-Lepreau. Pas mal, mais il ne fallait pas sous-estimer la réaction émotive, tout à fait normale dans les circonstances, de la population.

Jean Charest, penaud, a expliqué hier que la vente a été annulée parce qu'on s'est rendu compte qu'Énergie NB n'était pas une si bonne affaire, finalement. En fait, c'est plutôt que cette transaction devenait intenable pour le gouvernement Graham, qui, en plus, avait déjà été obligé de modifier une fois les termes de l'entente.

Québec ne s'est pas beaucoup aidé, non plus, en annonçant en grande pompe la semaine dernière une entente à long terme avec le Vermont. Là encore, l'opposition au Nouveau-Brunswick a alerté la population en affirmant que les Vermontois allaient payer moins cher que les consommateurs du N.-B.

Faux, ont rétorqué le gouvernement Graham et Hydro-Québec. Trop tard, le mal était fait.

Il y a sept ans, les électeurs du N.-B. ont failli renverser le gouvernement de Bernard Lord parce qu'il refusait de légiférer pour faire baisser le prix de l'assurance automobile. Son successeur, Shawn Graham, n'aurait certainement pas survécu à la controverse sur Énergie NB.

À lire les nombreux commentaires sur les sites d'informations de cette province, il est cuit de toute façon, malgré le recul annoncé aujourd'hui.

Pour Jean Charest, l'enjeu électoral n'est évidemment pas le même, mais le dossier d'Énergie NB ira enrichir le catalogue des ratés de son gouvernement.