Loin de moi l'envie de me lancer dans une chasse au niqab, et encore moins de suivre à la trace cette femme d'origine égyptienne, Naema, par qui le débat des accommodements raisonnables s'est rallumé.

Si on veut vérifier le sérieux de la politique du «visage découvert» du gouvernement Charest, il faut toutefois s'assurer que ce qui est interdit par la porte d'en avant ne se fasse pas par la porte d'en arrière.

Malheureusement, il semble bien que ce soit le cas avec la dame en question, qui, sitôt expulsée du cégep Saint-Laurent, s'est réinscrite dans un cours de français à temps partiel au Centre d'appui aux communautés immigrantes (CACI). Elle y suit des cours à temps partiel, avec d'autres élèves (hommes et femmes) et avec, c'est là que ça redevient intéressant, son niqab.

C'est la directrice du CACI Salaberry qui me l'a confirmé, hier matin au téléphone.

«Naema est bien inscrite à votre CACI? lui ai-je demandé.

- Oui, en effet, mais je refuse de vous donner une entrevue, je ne veux pas parler de ça.

- Et comment ça se passe avec elle?

- Très bien, aucun problème.

- Elle suit ses cours avec son niqab?

- Oui, bien sûr!»

Ah bon. Pardonnez-moi, mais j'ai cru entendre la semaine dernière le premier ministre Charest, la vice-première ministre Normandeau et d'autres membres influents du gouvernement dire que, dorénavant, ce sera visage découvert dans les salles de cours au Québec.

Je précise que je n'ai pas cherché à suivre Naema. Ce sont des informateurs du milieu de l'éducation qui se sont empressés de me faire parvenir des informations.

Cette histoire a créé un profond malaise dans les institutions d'enseignement. Malaise parce que ce sont les gens de la première ligne, les enseignants, qui doivent improviser avec les cas (rares, je le répète avant que l'on me reparle de l'invasion imminente des extrémistes musulmans au Québec). Malaise aussi au sein des directions des maisons d'enseignement parce qu'il n'y a pas de directives claires.

Malaise aussi au gouvernement, mais ça, franchement, près de deux ans après le dépôt du rapport Bouchard-Taylor, c'est un peu de sa faute.

Au cabinet de la ministre de l'Immigration, Yolande James, on affirme n'avoir été mis au courant du transfert de Naema que vendredi après-midi. Contrairement aux cégeps, les inscriptions dans les organismes partenaires, comme le CACI, ne sont pas centralisées.

À Québec, on suit le dossier à la trace et on garde la «même ligne de conduite», affirme Luc Fortin, porte-parole de la ministre James.

«C'est un cours subventionné, nous gardons la même position, dit-il. Elle (Naema) sera rencontrée et avisée par écrit qu'elle ne peut suivre ses cours avec un niqab.»

Cette histoire n'a pas fait que relancer le débat identitaire. Elle n'a pas fait (quoique ce soit déjà beaucoup) que sortir Jean Charest d'un mutisme commode sur le sujet. Elle a aussi réveillé un climat malsain teinté de suspicion, de théories du complot, de crainte et parfois aussi de xénophobie.

Les agitateurs de l'apocalypse identitaire ont repris du service, prenant ce niqab pour preuve de leurs théories plutôt que de retenir les appels au calme des leaders modérés de la communauté musulmane. Ou les statistiques qui nient la thèse de la tendance lourde.

Bien des Québécois pensent par ailleurs que cette affaire de voile intégral est un coup monté pour faire accepter le hijab. Malaise, suspicion, complot, disais-je.

Dans ma boîte vocale, hier, un long message d'une dame qui me disait sa grogne d'avoir dû passer une radiographie de la colonne vertébrale à Verdun en compagnie d'une préposée portant le hijab.

Si ça continue, sous peu, ce sont les pure laine qui demanderont l'accommodement raisonnable de ne pas être accompagnés d'une préposée portant le hijab.

Ce que l'histoire de Naema dit, dans le fond, c'est que l'immense majorité des Québécois sont d'accord pour que leur gouvernement dresse des balises et fixe des limites. Le gouvernement, qui travaille depuis des mois sur le dossier, aurait bien tort de se priver d'un tel consensus.

Le gouvernement, en ce sens, serait bien avisé de s'assurer la collaboration des leaders religieux modérés (qui forment la majorité). Ceux-ci, encore plus que nous, souhaitent éviter les affrontements, dont ils sont systématiquement les premières victimes collatérales.

On suspecte, à Québec, que des groupuscules envoient des «éclaireurs» pour tester les limites des accommodements raisonnables. Des canaris dans la mine identitaire ou, dit plus brutalement, des kamikazes des accommodements raisonnables.

Cela rend encore plus nécessaire l'adoption de directives claires.

Ce que cette histoire nous apprend, c'est que l'État n'a pas seulement la capacité d'»accommoder». Il a aussi le devoir d'imposer des limites.