Toute la session parlementaire est résumée sous mes yeux, en quelques lignes, sur un mini écran. Les quatre derniers mois et l'ensemble du climat politique tiennent en trois petits courriels échoués dans mon BlackBerry, hier entre 11h et midi.

Le premier: les pensées et les insultes d'un lecteur qui se fout du sort des prisonniers talibans torturés en Afghanistan et qui m'accuse de m'acharner sur le gouvernement Harper.

Le deuxième: un communiqué du ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, soulignant avec effusion la Journée des droits de la personne et l'anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Le troisième: le résumé d'un sondage Nanos commandé par la revue Options politiques, qui nous apprend que l'humeur générale des Canadiens s'est significativement améliorée depuis un an.

Tout est là, en trois courriels. Le je-m'en-foutisme d'une bonne partie de la population canadienne à l'égard du rôle et de la réputation du Canada à l'étranger, le concentré de cynisme du gouvernement Harper et la satisfaction d'une forte majorité de Canadiens qui trouvent que leur pays est sur la bonne voie.

Cela explique pourquoi le gouvernement Harper, qui a connu des semaines difficiles aux Communes, s'en tire néanmoins très bien au sein de l'électorat.

Je l'ai écrit à quelques reprises dans cette chronique, et je persiste: les affaires étrangères intéressent assez peu les Canadiens. Comme tous les électeurs normaux, d'ailleurs, ceux-ci se préoccupent d'abord de ce qui les touche. Les «vraies affaires», comme on dit. Voyez Barack Obama, qui est allé chercher son prix Nobel de la paix hier, mais qui se fait reprocher par ses concitoyens de replonger son pays dans une aventure ruineuse en Afghanistan, de ne pas en faire assez pour l'économie et, souvent aussi, de trop en faire pour établir un régime universel de santé.

Au Canada, cet automne, les «vraies affaires», c'est la grippe et l'économie.

Or, dans les deux cas, les conservateurs s'en sortent pour le moment avec un bilan positif. Nous n'avons pas connu l'hécatombe grippale appréhendée et le pays est beaucoup moins amoché par la récession que nous le craignions il y a quelques mois.

Certains diront, avec raison, que le gouvernement Harper a simplement été chanceux, qu'il n'a rien à voir avec le déclin de la pandémie de grippe ou avec la reprise. Peu importe, ce que les électeurs voient, c'est le résultat. En toute justice, il faut accepter que le gouvernement cueille les fleurs politiques des bonnes nouvelles, comme il aurait reçu les pots si les choses avaient mal tourné.

C'est exactement ce que dit le troisième sondage annuel de la firme Nanos sur «l'humeur des Canadiens».

«... L'état d'esprit des Canadiens s'est sensiblement amélioré en un an, lit-on dans le communiqué d'Options politiques. Près des deux tiers d'entre eux (64,3%) estiment aujourd'hui que le pays est engagé sur la bonne voie, alors qu'à peine la moitié (53,6%) se disaient de cet avis à la même période l'an dernier.»

Le sondeur Nik Nanos conclut: «Il y a 12 mois, les Canadiens étaient clairement anxieux face à la crise financière mondiale. Tout les inquiétait: leurs investissements, leurs économies, leur gagne-pain et leur avenir. La situation est aujourd'hui plus stable, et ils sont plus nombreux à dire que le Canada progresse sur la bonne voie.»

Pour Stephen Harper, c'est le plus beau cadeau de Noël imaginable. L'indice de la «bonne voie» est déterminant pour un gouvernement. Si les électeurs pensent que leur pays va dans la bonne direction, pourquoi changer de conducteur?

Malgré les problèmes du gouvernement Harper aux Communes. Malgré les révélations embarrassantes à propos des prisonniers torturés. Malgré les appels des partis de l'opposition à la démission du ministre MacKay.

De toute évidence, le niveau d'indignation des libéraux, du Bloc et du NPD est beaucoup plus élevé que celui de la population. Bien sûr, bon nombre de Canadiens sont scandalisés, mais sont-ils plus nombreux que les indifférents et les pro-Harper réunis? J'en doute.

Un courriel parmi tant d'autres, d'un lecteur de Québec, pour résumer un sentiment répandu:

«Bonjour, M. Marissal. Cessez d'écoeurer le peuple avec la torture en Afghanistan (les partis de l'opposition aussi devraient changer de sujet). La torture d'Afghans par des Afghans, on s'en fout. Que les parlementaires et les journalistes s'occupent des problèmes qu'on a ici et qui intéressent les gens. Ce qui se passe en Afghanistan n'intéresse plus personne. Bonne journée.»

Stephen Harper sait fort bien que les indifférents sont assez nombreux pour ne pas trop ébranler son gouvernement et que ses partisans se mobilisent énergiquement lorsqu'il accuse les partis de l'opposition de ternir l'image de nos Forces armées. Ou lorsqu'il les accuse d'être du bord des talibans. Ou encore lorsqu'il ignore dédaigneusement une décision de la Cour suprême enjoignant au Canada de rapatrier Omar Khadr, emprisonné à Guantánamo depuis 2002.

Dans le contexte, il est pour le moins ironique de lire le communiqué du ministre Cannon, diffusé hier à l'occasion de la journée des droits de la personne.

«Le Canada est fier de son engagement de longue date à l'égard de la promotion et de la protection des droits de la personne. Notre gouvernement est fermement résolu à promouvoir la liberté, la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit à l'échelle mondiale», écrit le ministre des Affaires étrangères.

Le ridicule ne tue pas. Le cynisme non plus. À regarder la position des conservateurs en cette dernière journée de session aux Communes, on dirait même que cela rend plus fort.