Michael Ignatieff s'était déjà passablement peinturé dans le coin en juin dernier en affirmant que le gouvernement Harper devait répondre à ses exigences à défaut de quoi il tomberait à l'automne. Il vient d'ajouter une couche de peinture en affirmant que les jours des conservateurs sont comptés.

Dorénavant, si le chef libéral veut sortir du coin, il devra piétiner sa propre peinture en suivant les traces encore fraîches de Stéphane Dion.

Pour rassurer ses députés, réunis à Sudbury pour préparer la rentrée (lire : la campagne), Michael Ignatieff n'avait pas le choix : il devait adopter un ton combatif, question de faire contraste avec sa performance plutôt pépère de l'été.

Les mots choisis ne laissent plus de doute : nous sommes dès ce matin en campagne électorale.

«Monsieur Harper, vous avez échoué sur toute la ligne, a dit M. Ignatieff. Vous n'avez pas su protéger les plus vulnérables, ni créer des emplois, ni défendre notre système de santé. Vous n'avez pas non plus réussi à présenter un plan pour rétablir nos finances (...). Stephen Harper dirige un gouvernement qui ne se soucie de rien. Nous pouvons mieux faire, et nous allons mieux faire.»

Le ton indique que les libéraux sont prêts à vivre avec les conséquences de défaire le gouvernement. Qui plus est, ils ont clairement fait le choix d'attaquer Stephen Harper de front, de recourir, notamment, aux publicités négatives pour dénoncer le bilan du gouvernement conservateur.

Maintenant qu'ils ont un peu plus d'argent, les libéraux peuvent contre-attaquer. Une première salve de messages anti-Harper sera d'ailleurs lancée en début de semaine prochaine, selon des sources fiables.

Les libéraux visent les «points faibles» (selon eux, du moins) du gouvernement Harper, en particulier la création d'emploi, l'état des finances publiques, le rythme des dépenses en infrastructures et la gestion de la pénurie d'isotopes médicaux. Les libéraux insisteront aussi sur le sort des ressortissants canadiens coincés à l'étranger.

«La cuirasse de M. Harper a des failles et il faut les exploiter, il faut aller sur le terrain de l'adversaire», résumait hier soir un stratège libéral.

Prendre résolument la voie des campagnes négatives peut être risqué. La ligne entre l'acceptable et l'inacceptable en ce domaine est aussi mince que floue et quiconque la traverse court le danger de voir l'électorat lui tourner le dos.

Stéphane Dion avait opiniâtrement refusé d'utiliser ce moyen, alors que les conservateurs s'étaient déchaînés contre lui. Paul Martin, au contraire, avait été trop loin, perdant votes et crédibilité (vous vous souvenez des soldats de Stephen Harper dans les rues ou du fusil pointé vers vous dans l'écran de télé?).

La différence entre les campagnes de Paul Martin et de Michael Ignatieff, c'est que le premier prêtait des intentions à M. Harper alors que le second peut attaquer son bilan.

Est-ce que ça marchera? Tout dépend du dosage. De toute façon, les libéraux n'ont pas vraiment le choix: il leur reste trop peu de temps (un peu plus de deux mois avant le scrutin) pour façonner l'image de leur propre chef et l'état des finances publiques ne leur offre pas le luxe d'élaborer un programme politique bourré de promesses de nouveaux programmes et d'investissements.

On dit souvent que les gouvernements se battent eux-mêmes. C'est vrai, mais il faut aussi parfois les aider un peu. On a beaucoup critiqué ces dernières semaines le manque de substance de Michael Ignatieff, mais le plan conservateur, s'il existe, n'est pas très clair non plus.

Les conservateurs ont toutefois un avantage: ils sont au pouvoir et peuvent, d'ici leur chute, faire pleuvoir les milliards en projets d'infrastructures partout au pays.

La grande question est de savoir comment Michael Ignatieff, grand intello dont c'est la première campagne en tant que chef, se comportera dans le rôle du challenger, du batailleur venu arracher le pouvoir au premier ministre sortant.

Michael Ignatieff en guerrier? Bien sûr, il pourra toujours envoyer ses «goons» sur la glace, ce que fait tout bon chef, mais il devra aussi se battre à l'occasion.

Pour le moment, son message semble calqué sur celui de Barack Obama, l'an dernier : on peut faire mieux que ça, le Canada doit être plus que ça. Mieux en santé, en création d'emploi, dans la gestion des finances publiques et à l'étranger. Il manque toutefois ce souffle d'espoir, incarné par Barack Obama.

En gros, M. Ignatieff dit aux Canadiens : mon gouvernement pourrait faire mieux que celui de M. Harper, au moment où les Canadiens ne veulent pas d'élections, où on ne sent pas d'ardent désir de changement et où les électeurs font davantage confiance au chef conservateur. Gros, gros contrat en vue pour les stratèges libéraux.

Ceux-ci disent que leur programme est prêt. Rien n'a coulé de ce programme à ce jour (les libéraux se seraient-ils inspirés de la discipline de leur adversaire conservateur ?), mais on sait que la lutte contre le déficit et la rigueur budgétaire seront de mise. Pas beaucoup de marge de manoeuvre, donc, pour les programmes sociaux si chers aux libéraux. Retrouvera-t-on un TGV comme mégaprojet d'infrastructure dans ce programme? Motus, mais on dit que Michael Ignatieff y tient beaucoup.

Les conservateurs, quant à eux, ont déjà trouvé leur ligne directrice : des élections retarderont la reprise sentie au pays, et ce sera la faute des libéraux. Simple, mais efficace, surtout si on oublie que les conservateurs n'ont pas vu venir la récession et que M. Harper a préféré provoquer une crise politique l'automne dernier plutôt que de s'occuper de l'économie.