«Nous réfléchissons à la sagesse de nos ancêtres qui ont bâti ce grand pays, et nous disons merci aux courageux Canadiens et Canadiennes qui risquent leur vie pour nous défendre, ici au pays et dans le monde entier.»

- Stephen Harper, dans son message officiel à l'occasion de la fête du Canada.

«Nous sommes en train de perdre en Afghanistan et nos jeunes soldats meurent là-bas parce que nos politiciens sont incapables d'accoucher d'une stratégie cohérente.»

- Paddy Ashdown, spécialiste britannique en affaires militaires et de sécurité, membre de la British Security Strategy, ancien envoyé spécial en Bosnie, ancien commando d'élite et ex-chef du Parti libéral démocrate britannique.

Mercredi, fête du Canada, les éloges de nos politiciens aux militaires canadiens morts en service étaient de mise.

Belle occasion, en effet, peu importe les allégeances politiques ou les sentiments par rapport à la guerre, pour honorer la mémoire de ces jeunes gens fauchés, notamment, sur les plages de Normandie, en Corée ou, ces dernières années, en Afghanistan.

Mais une fois les solennels moments de silence terminés dans les cérémonies officielles, que reste-t-il de ces morts? Sait-on seulement pour quoi ils sont morts en Afghanistan?

La question est de nouveau d'actualité à Ottawa parce que l'administration Obama mène apparemment une campagne diplomatique ces temps-ci pour tenter de nous convaincre de prolonger notre mission.

Il n'y a pas eu encore de demandes formelles, mais elles viendront. Les États-Unis sont en train de plier bagage en Irak et l'Afghanistan, clairement, constitue la nouvelle priorité du président Obama.

Pour le moment, Ottawa répond que nous nous retirerons, comme prévu, en 2011. Mais comment notre gouvernement (d'ailleurs, quel gouvernement en 2011, celui de Stephen Harper ou celui de Michael Ignatieff?) pourra-t-il dire non au président Obama?

Avant d'aller plus loin dans l'aventure afghane, une lecture attentive du rapport de 143 pages de la nouvelle British Security Strategy (branche du prestigieux Institute for Public Policy Research de Londres) serait certes utile à nos dirigeants.

En bref, voici ce que nous disent Lord Ashdown et ses comparses : «Tous les pays impliqués en Afghanistan tirent dans des directions opposées et c'est là la pire menace en ce moment pour nous. Si nous ne rectifions pas cette situation de manque presque total de coordination, nous ne ferons que des progrès marginaux et nous continuerons de payer le prix en vies militaires et civiles.»

Difficile d'être en désaccord. Cette guerre aux objectifs vagues semble effectivement vouée à l'échec, le rapport de la British Security Strategy n'est pas le premier à le dire. Nous ne savons pas très bien ce que nous faisons en Afghanistan, ce que nous cherchons à accomplir.

Que l'on se retrouve encore une fois à se demander si nous resterons ou non en Afghanistan, sept ans après que l'ex-premier ministre Jean Chrétien eut engagé le Canada dans cette mission, est en soi une preuve de l'échec de nos politiciens.

Quel rôle veut-on jouer sur la scène internationale? Quelle est la politique étrangère de ce pays? Qui décide? Ottawa, les États-Unis, l'ONU ? Qu'avons-nous vraiment accompli en Afghanistan?

Il s'est fait beaucoup de politique sur la question de notre présence en Afghanistan depuis sept ans, mais pas de débat de fond.

Jean Chrétien a autorisé le premier déploiement. Par la suite (dans ses mémoires), il a reproché à Paul Martin d'avoir tellement tergiversé que nos troupes se sont retrouvées dans la zone la plus dangereuse, près de Kandahar.

Sous le régime Harper, la question afghane est revenue deux fois sur le parquet de la Chambre des communes. Les deux fois, Stephen Harper a obtenu ce qu'il recherchait, dont la dernière fois, avec la prolongation de la mission canadienne jusqu'en 2011.

À défaut d'avoir une vision claire de ce qu'il veut faire sur la scène internationale, notamment en zone de guerre, Stephen Harper a démontré qu'il sait gagner ses petites batailles sur le front politique.

On n'en sait pas beaucoup plus sur les véritables intentions de Michael Ignatieff, plus faucon que colombe en matière de lutte contre le terrorisme. Dans les rangs libéraux, là-dessus comme sur une foule d'autres sujets, on nage en plein brouillard. Certains députés et stratèges libéraux affirment que c'est Michael Ignatieff, et non l'ancien chef Stéphane Dion, qui a négocié en coulisse la prolongation de mandat de nos troupes jusqu'en 2011. On s'entend aussi généralement pour dire que M. Ignatieff serait plutôt favorable à une autre prolongation, question de répondre favorablement au président Barack Obama.

Par ailleurs, M. Ignatieff est de l'école «il faut finir le job». La question, on y revient encore, est toujours de savoir : quel job? Quels résultats? Quels délais?

Les conservateurs, clairement, ont décidé de pousser le sujet sous le tapis, craignant de se prendre les pieds dedans en campagne électorale.

Voilà pourquoi le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a déclaré cette semaine qu'il n'y aura pas de prolongation. Cela n'empêchera pas les Américains de poursuivre leur campagne de persuasion.

Le président vient de nommer un nouvel ambassadeur à Ottawa, David Jacobson, un ami personnel en qui il a toute confiance. Outre les sempiternels litiges commerciaux qui épicent périodiquement les relations canado-américaines, le premier dossier de l'ambassadeur Jacobson sera sans contredit le plan Obama pour l'Afghanistan.

Il semble, selon les rapports de presse des derniers jours, que la Maison-Blanche s'explique mal nos réticences à rester plus longtemps (indéfiniment ?) en Afghanistan.

Une réponse simple : 119 morts. Avec, en complément de réponse, les conclusions de la British Security Strategy.

Barack Obama, qui s'est opposé dès le premier jour à l'invasion américaine en Irak, notamment parce que le plan de George Bush était vague, sans échéancier, sans plan de sortie ni possibilité de victoire, devrait comprendre les réticences canadiennes à étirer l'expérience afghane.

Cela dit, les Américains nous comprendraient probablement mieux si notre gouvernement, et l'opposition, étaient capables d'énoncer une position claire basée sur une véritable politique étrangère plutôt que sur de petites joutes politiques improvisées au fil des crises parlementaires et électorales.