La scène se passe à Denver, en juin 1997.

Le G7 est réuni sur fond de crise financière asiatique, la calamité de l'époque. Le président américain, Bill Clinton, accueille ses invités par un long et spectaculaire discours.

Dans la salle, un certain Paul Martin s'ennuie et décide de se retirer discrètement dans l'autocar qui l'a conduit sur les lieux pour préparer les réunions à venir.

 

Pendant qu'il a le nez collé dans ses papiers, un autre ministre des Finances, las lui aussi des arabesques de Bill Clinton, entre dans l'autocar et se présente: «Bonjour M. Martin, je suis Gordon Brown.»

C'est ainsi que l'ancien ministre des Finances britannique, qui allait devenir premier ministre, a rencontré son homologue canadien, destiné au même sort (1).

Il est ironique, 12 ans plus tard, de constater que des deux anciens ministres des Finances, celui qui a imaginé et défendu le principe d'un G20 est à la retraite forcée alors que l'autre triomphe sur la tribune de cette nouvelle institution internationale.

MM. Martin et Brown ne partagent pas que l'amitié, une tendance forte au multilatéralisme et un destin semblable. Ils ont aussi cheminé sur la même route cahoteuse de la politique.

Tous deux dans l'ombre d'un chef indélogeable, Tony Blair pour Gordon Brown et Jean Chrétien pour Paul Martin, ils ont dû attendre plus d'une décennie pour finalement accéder au trône. Et lorsqu'ils y sont finalement arrivés, ils ont déçu les attentes, en plus, soyons justes, d'être victimes de nouvelles conjonctures défavorables.

Gordon Brown, après des débuts catastrophiques au pouvoir, semblait condamné à rejoindre Paul Martin dans le club des politiciens oubliés. Il a toutefois connu une spectaculaire résurrection politique, grâce en grande partie à la crise économique. On s'accorde généralement, en Europe, pour dire qu'il a été l'architecte d'un premier plan crédible et efficace, dès l'automne 2008.

Paul Martin, lui, n'a pas eu cette chance, victime de l'usure du pouvoir et du scandale des commandites. C'est le karma de Paul Martin: toujours en retard avec les grands rendez-vous de son histoire.

Pourtant, pour la question du G20, il était en avance, et de loin, sur tout le monde.

L'idée de Paul Martin, dès le milieu des années 90, était la suivante: élargir le groupe des pays décideurs pour prendre de front les crises économiques dès qu'elles émergent plutôt que de demander aux pays du G7 de nettoyer les dégâts après le passage de ces crises.

L'autre idée défendue par Paul Martin était de diluer le pouvoir économique démesuré des États-Unis sur la scène mondiale.

Dans les deux cas, le G20, à commencer par le nouveau président américain, Barack Obama, lui a donné raison cette semaine.

Paul Martin a mis au monde le G20 en 1999 et l'a même dirigé les deux premières années, parlant de l'institution comme du «conseil d'administration de l'économie mondiale».

On a tellement critiqué - avec raison - le peu d'instinct politique et la mollesse de Paul Martin lors de son bref passage au poste de premier ministre qu'il est équitable de souligner son flair pour le G20.

«Avec le G20, a-t-il dit à La Presse en septembre 1999, nous avons créé un véhicule pour prendre des décisions, pas seulement pour produire des études. Pour que les marchés financiers soient efficaces et stables, ils doivent reposer sur une solide infrastructure comportant des normes comptables et des régimes de supervision visant à assurer la transparence.»

Puis, lors d'un discours sur sa politique étrangère en 2004: «Je suis convaincu qu'une réunion des dirigeants du G20 peut apporter une contribution significative en galvanisant nos efforts à l'échelle multilatérale et en donnant l'impulsion et un meilleur sens de direction à nos institutions travaillant dans le domaine de la gouvernance mondiale.»

Le communiqué final de la réunion du G20 aurait pu faire un copier-coller des déclarations de Paul Martin.

Bien sûr, Paul Martin ne parlait à l'époque que d'un concept, une idée sur papier. En 2004, il a affirmé que le G20 a mis en place «les mécanismes nécessaires pour mieux faire face aux défis financiers internationaux». On constate aujourd'hui qu'il péchait par excès d'optimisme.

Paul Martin, comme son ami Gordon Brown, se serait-il finalement révélé «grâce» à la crise ? On ne le saura jamais. Chose certaine, il a posé le bon diagnostic sur l'économie mondiale, il y a une bonne décennie. Certains diront que cela ne fait que confirmer que Paul Martin était un excellent ministre des Finances, mais qu'il n'avait tout simplement pas ce qu'il fallait pour être premier ministre.

En toute justice, il faut souligner que lui, contrairement à Stephen Harper, avait un plan financier et une politique étrangère.

Il est gênant de constater que notre premier ministre a réussi à attirer l'attention sur lui... par son absence. Le Canada, il est vrai, n'est qu'une modeste voix sur la scène internationale et il serait illusoire de demander à Stephen Harper de faire de l'ombre aux Barack Obama, Angela Merkel ou Nicolas Sarkozy de ce monde.

Est-ce trop demander, toutefois, d'avoir une idée cohérente de la vision du gouvernement conservateur pour la suite des choses?

Pendant les premières années de son règne, on a eu l'impression que Stephen Harper suivait George Bush. Maintenant que celui-ci est parti, on a l'impression que M. Harper essaie de s'ajuster à Barack Obama.

Cela dit, on en sait peu, pour le moment, sur la politique étrangère et les grandes orientations économiques de la solution de rechange, le chef libéral Michael Ignatieff.

On dit dans l'entourage de M. Ignatieff que celui-ci consulte Paul Martin à l'occasion. C'est délicat, parce que le nom de Paul Martin rappelle, à bien des libéraux, une douloureuse défaite et les vieilles guerres de clans.

On ne peut pas nier, toutefois, que les actions de Paul Martin sont à la hausse cette semaine avec le succès du G20.

(1) Tiré de Juggernaut: Paul Martin's Campaign for Chrétien's Crown, Susan Delacourt, McClelland

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca