Certains diront que ce n'est qu'une visite symbolique de six heures et que l'on exagère l'importance de la venue de Barack Obama, aujourd'hui, à Ottawa, mais il faudra alors leur rappeler que huit ans plus tard, on se souvient encore, avec déplaisir, que George W. Bush avait choisi, symboliquement, d'aller d'abord au Mexique.

En relations internationales, les symboles sont souvent plus importants que les discours.

La relation personnelle entre le premier ministre canadien et le président américain peut aussi être qualifiée de symbolique, mais elle n'en est pas moins cruciale pour les échanges entre les deux pays.

Dans une entrevue qu'il nous accordait la semaine dernière, l'ancien premier ministre Brian Mulroney a mis le doigt sur un point fondamental: les politiciens sont des humains et, par conséquent, «ce sont les relations personnelles qui priment».

À première vue, MM. Harper et Obama sont tellement différents (outre le fait qu'ils sont tous deux dans la quarantaine et qu'ils ont deux enfants) qu'il est difficile de croire qu'ils deviendront de grands amis. M. Obama ne jouera pas au basketball avec M. Harper et celui-ci ne le traînera pas à un match de hockey. Toutefois, il est important pour notre premier ministre de savoir qu'il peut prendre le téléphone au besoin et parler à un président réceptif.

Nous aurions tort, donc, de minimiser la signification de ce premier contact avec le président Obama. Ce serait aussi une erreur de réduire cette visite à son aspect spectaculaire et même glamour, avec le B-747 Air Force One, avec la limo «Mad Max» du président ou avec ses allures de superstar.

Le nouveau président américain en a plein les bras ces jours-ci. Il aurait très bien pu remettre à des jours plus calmes sa rencontre avec ses paisibles voisins canadiens. Il ne l'a pas fait, ce qui est, quoi qu'on en dise, un bon signe pour nous.

Et puis, nous devrions doublement le remercier parce que sa visite enverra enfin, du moins souhaitons-le, les signaux qui permettront au gouvernement Harper de se mettre véritablement en marche pour l'économie, pour l'environnement, en plus de l'aider à se trouver un début de politique internationale.

Le président n'était pas obligé non plus d'accorder, ce qui reste un geste rarissime, une entrevue (courte, mais rondement menée par Peter Mansbridge de CBC) à une télévision canadienne. Là encore, le symbole est important. Les mots aussi, surtout pour la suite des choses en Afghanistan.

Mine de rien, en une courte phrase, Barack Obama a résumé le dilemme canadien par rapport à cette mission meurtrière. «Le Parlement canadien a décidé de rester en Afghanistan jusqu'en 2011 et je pense qu'il est important pour le Parlement et les Canadiens de sentir que ce qu'ils font là-bas est utile.»

Beaucoup de Canadiens, en effet, appuient la mission et jugent que nous devons contribuer, mais au-delà des morts qui s'accumulent parmi nos troupes, ils ne voient pas très bien ce que nous y faisons. Le gouvernement conservateur a bien essayé de mieux «vendre» cette mission aux Canadiens, notamment en procédant à un spectaculaire remaniement à l'été 2007. Il faut admettre qu'il a échoué.

Si bien qu'aujourd'hui, nous comptons les jours d'ici 2011 en disant : «Nous, on a déjà donné.»

Le hic, c'est que le président Obama va certainement nous demander (pas aujourd'hui, mais vraisemblablement au cours de cette année) de participer à son plan pour l'Afghanistan.

Ses propos sur les ondes de CBC sont limpides en ce sens : «Je vais présenter notre nouvelle approche et il est certain que je vais continuer de demander aux autres pays de nous aider à résoudre ce difficile problème.»

Beau débat en perspective au Canada.

D'un côté, nous avons déjà fait en Afghanistan un effort démesuré quant à notre taille, mais, d'un autre côté, comment plier bagage en 2011 et dire non au projet prioritaire du nouveau président ?

La question reviendra hanter nos partis politiques. On connaît déjà la réponse du Bloc québécois et du NPD : retrait en 2011 (et même avant).

Le chef libéral, Michael Ignatieff, a pris les devants hier en reprenant presque mot à mot les propos de Barack Obama : oui à une prolongation, mais dans une mission humanitaire avec un but précis pour que les Canadiens comprennent ce que nous faisons là-bas et pour que nos soldats cessent de mourir en vain.

M. Ignatieff devra maintenant expliquer sa nouvelle position à son caucus. Pas plus tard que mardi soir, des membres influents de son équipe affirmaient que la sortie en 2011 est la seule option pour le Parti libéral.

Quelle sera la réaction des conservateurs ? Il y a fort à parier que comme en 2006 et en 2008, conservateurs et libéraux voudront éviter de faire de l'Afghanistan un enjeu électoral. À deux, ils peuvent adopter une résolution nous engageant pour quelques années supplémentaires.

Il sera d'autant plus difficile de dire NON que le commandement militaire américain insistera beaucoup sur la formation de l'armée afghane, une demande maintes fois répétée par le Canada.

Selon le commandement américain, il faudra au moins cinq ans pour former le nombre minimum requis de soldats afghans. Nous pourrions donc fort bien rester là-bas, dans une mission de soutien, jusqu'en 2015-16 si nous acceptons de suivre le président Obama.

Ce dernier parle par ailleurs de diplomatie et de développement, deux axes également priorisés par les Canadiens.

Sur le front, Barack Obama s'est engagé à doubler (jusqu'à 60 000) le nombre de soldats américains sur le terrain. On ne pourra plus dire, comme à l'époque de George W. Bush, que Washington demande aux autres de mener sa guerre en Afghanistan.

Il serait parfaitement légitime, pour le Canada, de s'en tenir à un retrait complet en 2011. Reste qu'une telle décision serait sans doute mal perçue à Washington.