C'est sans doute le plus éculé des clichés parmi la faune parlementaire que de dire que six mois font une éternité en politique, mais, encore une fois, cela se vérifie de façon spectaculaire.

Même que dans le cas présent, à Ottawa, on pourrait dire qu'une éternité s'est écoulée durant les six dernières semaines.En décembre, lorsque Stephen Harper a réussi à faire fermer le Parlement in extremis, le Canada était plongé dans un débat sur les vices et les vertus d'une coalition centre-gauche.

Nous étions quelques-uns à dire que cette alliance était vouée à l'échec à court terme, à moins que les partis de centre-gauche (nommément le Parti libéral du Canada et le NPD) ne saisissent l'occasion pour orchestrer une véritable fusion, comme la droite l'a fait, en 2004. Ou, à défaut d'une fusion, à tout le moins un rapprochement organisationnel.

Voyez un peu maintenant : la coalition est morte et enterrée, Jack Layton s'est payé une campagne publicitaire pour dénoncer Michael Ignatieff et les conservateurs sont solidement accrochés au pouvoir pour les prochains mois.

Adios, la fusion des forces politiques de centre-gauche, retour au chacun-pour-soi.

Les libéraux, à tort ou à raison, croient maintenant être en mesure de retrouver le chemin du pouvoir sans tenir la main des néo-démocrates, qui, eux, se sentent trahis par leurs alliés de décembre.

Ce qui veut donc dire que lors de la prochaine campagne (dans 9, 12, 18 mois, qui sait ?) les champs de bataille de l'Ontario, des Maritimes et de la Colombie-Britannique retrouveront leurs vieilles divisions classiques entre libéraux et NPD.

En lançant une salve radio contre Michael Ignatieff, Jack Layton aide plus les conservateurs qu'il n'aide son propre parti.

Cela dit, il serait faux de croire que tout baigne dans l'huile à droite. Au contraire, la droite se cherche par les temps qui courent et certains de ses partisans craignent de perdre leur âme pour garder le pouvoir.

Pour la première fois depuis qu'il a pris la direction du nouveau Parti conservateur, en 2004, Stephen Harper fait face à des critiques de plus en plus nombreuses au sein de son parti.

Ce n'est pas encore une révolte - après tout, il est premier ministre et le PCC est au pouvoir - mais les militants qui étaient hier prêts à suivre leur leader avec enthousiasme se demandent maintenant où celui-ci les conduit.

Le budget de la semaine dernière, rouge de déficit et d'idéologie libérale, n'a fait que confirmer leur crainte d'un virage vers le centre.

Où sont passés les principes de rigueur budgétaire, de rationalisation de la machine étatique, de la fin de l'interventionnisme, du libre marché ? demandent les conservateurs. Que reste-t-il du programme conservateur ?

Le magasine Maclean's annonce même dans son dernier numéro « la fin du conservatisme canadien », rien de moins, en expliquant que Stephen Harper a vendu ses principes pour sauver sa peau.

Tom Flanagan, professeur à l'Université de Calgary, intellectuel de droite proche de Stephen Harper, dont il fut longtemps le principal conseiller, pense lui aussi que les conservateurs doivent reprendre la voie de droite, sans quoi ils risquent de perdre leur base en cours de route.

Dans un texte d'opinion publié lundi dans le quotidien The Globe and Mail, Tom Flanagan écrit que cette base électorale « comprend l'urgence budgétaire », mais elle n'apprécie guère les budgets dépensiers qui creusent des déficits.

Si cette base décroche, le PCC perdra sa principale source de revenus et, par conséquent, son avantage stratégique sur les libéraux.

On l'a vu encore cette semaine, avec les nouveaux résultats de financement des partis politiques, les conservateurs nagent dans le fric grâce aux dons de leurs militants alors que les libéraux souffrent de la fin des dons corporatifs. (Les conservateurs ont récolté 21 millions l'an dernier, contre 5,9 millions pour les libéraux et 5,5 millions pour le NPD.)

Pour relancer le Parti conservateur, Tom Flanagan presse son ancien élève de se « rebrancher » sur sa base électorale en mettant de l'avant des politiques conservatrices, notamment dans le domaine de prédilection de la droite : la loi et l'ordre.

Tom Flanagan suggère même à M. Harper de soumettre son projet de loi visant à durcir les peines des jeunes contrevenants à un vote de confiance aux Communes. Selon lui, le chef libéral Michael Ignatieff n'aura pas le courage de défaire le gouvernement sur un tel projet et les militants conservateurs seraient donc rassurés sur la fibre conservatrice de leur chef.

Il est vrai que le peu de résistance opposée au budget Flaherty par le nouveau chef libéral pourrait inciter les conservateurs à accentuer le virage à droite. Comment expliquer, par exemple, que le Parti libéral du Canada laisse passer la suppression du recours aux tribunaux pour les employées de l'État dans les litiges touchant l'équité salariale?

Comment expliquer que les libéraux n'exigent pas avec plus de force le rapatriement d'Omar Khadr de Guantánamo?

Comme quoi, les libéraux aussi se cherchent. Laisser passer un budget en invoquant la raison d'État, c'est une chose, mais il est risqué de piétiner à répétition ses principes pour gagner du temps. Parlez-en à Stéphane Dion.

M. Harper résistera-t-il aux conseils de son mentor ? Tout dépend de l'ampleur que prendra, ou pas, la grogne au sein de son parti au cours des prochains mois. Tout dépend aussi de la performance de Michael Ignatieff dans les sondages.

Le premier ministre a dit en décembre qu'il ne multipliera pas les votes de confiance (comme il l'avait fait en 2008), mais s'il sent le tapis lui glisser sous les pieds, il pourrait être tenté de forcer le jeu.

Chose certaine, pousser le bouchon de la loi et de l'ordre ne ferait que dégrader encore un peu la cote du Parti conservateur au Québec.