Au moins, ils ont fait ça court !

Depuis le temps que les conservateurs nous disent qu'il n'y aura rien dans le discours du Trône, que ce n'est qu'une formalité de début de session parlementaire et que les «vraies affaires » seront dans le budget, cet après-midi, il aurait été insolent d'arriver avec un long discours ronflant.

Remarquez le paradoxe : nous traversons une période pénible qui exige de nos leaders des mots inspirants pour redonner confiance et Stephen Harper, lui, a expédié son plan en 813 mots, à peu près l'équivalent d'une chronique de longueur typique à La Presse.

Il faut dire que c'était le quatrième discours du Trône de M. Harper en moins de trois ans. Il doit commencer à manquer d'inspiration. Il faut dire aussi que depuis que la crise économique s'est abattue sur les prévisions des économistes, plus rien ne tient.

Trêve de beaux discours, laissons parler les chiffres, dit en substance le discours du Trône.

Cela dit, même court, le texte confirme une vérité désormais inéluctable: la crise va faire mal, au moins un an, peut-être même davantage, prévoit le gouvernement Harper. Le même gouvernement qui nous disait, il y a deux mois, que nous étions immunisés et qu'un retour aux déficits était hors de question.

En filigrane, le discours du Trône révèle autre chose : Stephen Harper, frappé de plein fouet par la crise, souffre de graves problèmes de personnalité.

Premier symptôme: pour préparer son très attendu plan de relance de l'économie canadienne, le premier ministre conservateur a trouvé son inspiration... dans le livre rouge de 1993 de Jean Chrétien, l'ennemi libéral qui a presque provoqué la disparition du Parti conservateur.

L'ancien chef libéral avait marqué des points lors de la campagne de 1993 en proposant de relancer l'économie canadienne fortement ralentie par une longue récession avec un slogan tout simple : Jobs, jobs, jobs.

Et comment? Par un vaste programme d'infrastructures à travers le pays. Pour résumer une célèbre phrase de Jean Chrétien, lors du débat des chefs de 1993: «Quand on se promène dans la rue et qu'on voit "Faillite", "À vendre", personne ne veut dépenser. Mais lorsque les gens verront des camions, des ouvriers bouger dans les rues, l'espoir reviendra, et on verra cette partie de l'économie relancée.»

Nouvelle version, hier, de la part du ministre des Transports, John Baird : «Il faut mettre les pelles dans la terre au plus vite pour relancer l'économie.»

Deuxième symptôme de dédoublement de la personnalité chez M. Harper: il a emprunté plusieurs expressions chères à Michael Ignatieff, comme «protéger les citoyens vulnérables».

Troisième symptôme: le gouvernement Harper a ressorti un vieux truc du précédent gouvernement Martin qui consistait à égrener le contenu du budget par fuites calculées. Les conservateurs sont même allés plus loin : depuis trois jours, ils tiennent des conférences de presse pour dévoiler les mesures budgétaires.

Quatrième symptôme: Stephen Harper a dû renier un des principes fondamentaux de la pensée conservatrice en admettant que l'État canadien doit intervenir, et énergiquement, dans l'économie pour garder la tête hors de l'eau.

Enfin, cinquième symptôme de mutation chez M. Harper: un «effet Obama» palpable chez le premier ministre qui, comme le nouveau président des États-Unis, affirme ne pas avoir le monopole des bonnes idées et en appelle à la collaboration de tous pour se sortir du bourbier.

L'influence d'Obama se lit même presque mot à mot.

Dans son discours du Trône, M. Harper affirme: «La crise actuelle est nouvelle, mais l'impératif d'une action concertée est un défi que le Parlement a relevé à maintes reprises au cours de notre histoire. Nous serons aujourd'hui soutenus par les mêmes traits de caractère qui ont déjà permis au Canada de traverser des temps difficiles: unité, détermination et constance.»

Un calque évident des mots inauguraux de Barack Obama: «Les défis face à nous sont peut-être nouveaux. Les outils avec lesquels nous les affrontons sont peut-être nouveaux. Mais les valeurs dont notre succès dépend, le travail, l'honnêteté, le courage et le respect des règles, la tolérance et la curiosité, la loyauté et le patriotisme, sont anciennes. (...).»

Les trois chefs de l'opposition n'ont pas caché leurs doutes quant à la sincérité de cet appel à la collaboration de M. Harper, mais comme la bonne foi se présume, il faut au moins saluer les efforts de rapprochement.

Le moins que l'on puisse dire, toutefois, c'est que ce discours du Trône, même mince, marque un tournant plutôt contre-nature pour Stephen Harper. Le travail en collaboration, la main tendue et l'abandon des dogmes ne sont pas, c'est le moins que l'on puisse dire, des traits marquants de sa personnalité.

Il faut bien dire qu'il n'a pas vraiment le choix. Il doit maintenant montrer un visage rassurant aux Canadiens. Ce serait trop lui demander que d'être inspirant à la Obama, mais il doit tout de même donner l'image d'un bon père de famille empathique et non plus seulement cette personnalité froide d'économiste.

Michael Ignatieff, dont c'est le baptême de feu cette semaine aux Communes, pourra toujours critiquer les détails du plan de relance, mais il lui sera beaucoup plus difficile (et certainement dommageable) de rejeter la main tendue.