De 0 à - 40.

Non, ceci n'est pas une chronique météo.

Ce n'est pas non plus un rapport sur vos placements au cours des derniers mois.

Ceci est une chronique politico-budgétaire qui commence par un constat brutal: le gouvernement fédéral pourrait passer du déficit zéro (et même de surplus) à un trou abyssal de 30 à 40 milliards à la fin du prochain exercice financier.

À Québec, les chiffres sont moins affolants, mais le portrait n'est pas plus rose.

Le premier ministre Jean Charest et sa ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, ont laissé hier le chat sortir du sac (ou, si vous préférez, de la sacoche): le Québec se dirige, effectivement, vers un déficit.

Combien? Mme Jérôme-Forget ne le dit pas. Peut-être pour ne pas trop effrayer ses concitoyens. Une mauvaise nouvelle à la fois, à petite dose. D'abord, le diagnostic. Le pronostic suivra au budget, quelque part en mars.

Même si les chiffres avancés sont douloureux, ils ne devraient surprendre personne. L'économie mondiale, l'a-t-on assez dit, tourne au ralenti, quand elle ne recule pas carrément. Les prévisions de croissance sont négatives, la consommation chute, les pertes d'emplois s'aggravent. Bref, pas besoin d'un diplôme de la London School of Economics pour comprendre que les revenus de l'État diminueront. D'autant que les deux gouvernements sortants, aussi bien à Ottawa qu'à Québec, ont passé l'automne à promettre une intervention énergique de l'État pour stimuler l'économie.

Ce n'est pas que l'on n'a pas - nous, les journalistes - posé des questions sur le retour éventuel des déficits durant les deux campagnes électorales. Nous l'avons fait à maintes reprises, mais nous avons obtenu, autant de Stephen Harper que de Jean Charest, la même réponse: pas de déficit en vue, l'équilibre budgétaire n'est pas menacé.

Quand Stéphane Dion a refusé de s'engager à exclure un éventuel déficit, M. Harper est sorti de son plan de campagne pépère pour le «planter» joyeusement.

Selon M. Harper, un déficit était «inacceptable», rien de moins.

Au Québec, quand François Legault du Parti québécois a prédit un déficit sous un gouvernement péquiste, les libéraux l'ont raillé, s'empressant d'ajouter, Mme Jérôme-Forget en tête, que jamais ils ne reviendront aux déficits, eux.

Bien sûr, ni Stephen Harper ni Jean Charest ne pouvaient, il y a deux ou trois mois, prédire avec précision, l'ampleur des dégâts de cette crise qui est passée de tempête tropicale à ouragan de catégorie 5.

À Ottawa, on dit que Stephen Harper, économiste de formation, pourtant, est accablé par la force de la crise et par ses effets sur l'économie canadienne.

Bien sûr, ils ne peuvent être tenus responsables de la violence avec laquelle cet ouragan est en train de s'abattre sur l'économie.

Mais, a posteriori, il est plutôt ironique de relire leurs discours sur la tempête à venir et sur l'importance d'élire un gouvernement responsable, eux qui refusaient de prononcer le mot déficit, pourtant la conséquence inévitable du marasme.

À défaut d'avoir le courage de dire la vérité toute crue, ils auraient au moins pu éviter de nier si grossièrement celle-ci pendant 35 jours de campagne électorale. Après tout, ne dit-on pas que l'économie, la croissance et, éventuellement, la reprise reposent d'abord et avant tout sur la confiance.

Aujourd'hui, on mesure l'impuissance de nos deux gouvernements devant cette crise, eux qui se présentaient pourtant comme son antidote.

La réalité, c'est que le gouvernement du Québec attend après celui d'Ottawa, qui lui, attend après le nouveau président américain, Barack Obama.

L'autre réalité, politique celle-là, c'est que le mot déficit est devenu tabou à Québec et à Ottawa. Si MM. Harper et Charest n'ont pas osé en parler, ce n'est pas parce qu'ils ne savent pas compter, c'est qu'ils étaient trop préoccupés par le déficit... de votes le jour du scrutin.

Cette phobie du mot déficit n'est pas exclusive aux libéraux de Jean Charest et aux conservateurs de Stephen Harper. Depuis que l'on a atteint l'équilibre budgétaire, à la fin des années 90, le mal s'est répandu à tous les gouvernements sortants.

Le même François Legault en sait quelque chose. Quelques mois avant le déclenchement, par son chef Bernard Landry, des élections d'avril 2003, M. Legault avait émis des doutes sur l'équilibre budgétaire lors d'une réunion avec M. Landry et ses collègues ministres, Pauline Marois et Joseph Facal.

Selon les calculs de François Legault, il manquait quelque deux milliards pour faire le compte et il suggérait de présenter la situation budgétaire ainsi, en toute transparence. «Faisons le pari de la transparence», avait-il plaidé.

Mal lui en prit. Sans ménagement, le premier ministre Landry lui avait reproché sa naïveté, lui rappelant qu'il «était en politique».

Cette fois, les chiffres écrasent les considérations politiques et il sera impossible pour les gouvernements Charest et Harper de cacher ce que tout le monde voyait depuis quelques temps déjà.

Oyez, Oyez, braves gens, qu'on se le dise, l'ère des déficits est bel et bien de retour.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca