Les Québécois sont fâchés contre Jean Charest parce qu'il a déclenché une campagne électorale qu'ils ne suivent pas, mais ils sont prêts, selon CROP, à donner une majorité aux libéraux.

On pourra débattre durant encore 23 jours du cynisme des calculs des libéraux et de l'opportunisme de leur chef, mais on est bien obligé, chiffres à l'appui, de reconnaître qu'il aurait eu tort de rester assis sur ses mains.D'autant que l'économie - vous l'a-t-on assez dit depuis quelques jours ? - s'en va chez le diable.

Attendre, pour Jean Charest, c'était courir le risque de se faire battre en 2009 ou en 2010 dans un flot de mauvaises nouvelles et peut-être même sur un premier budget déficitaire en 10 ans au Québec.

Les intentions de vote de notre plus récent coup de sonde sont encourageantes pour les libéraux, mais elles ne racontent qu'une partie de l'histoire.

L'élément le plus important de ce sondage, c'est que 64 % des Québécois souhaitent un gouvernement majoritaire, une barrière psychologique qui s'était dressée entre Stephen Harper et la majorité lors de la dernière campagne fédérale.

Jamais les Canadiens, encore moins les Québécois, n'ont surmonté leurs craintes de voir les conservateurs devenir majoritaires. Cette fois, au Québec, non seulement la perspective d'un Charest majoritaire n'effraie pas les électeurs, mais deux sur trois le souhaitent même.

Autres données réjouissantes pour les libéraux : le taux de satisfaction à l'égard du gouvernement a grimpé de cinq points, et ils ont pris six points en deux semaines chez les francophones (un bond spectaculaire en si peu de temps), ce qui les place à égalité avec le Parti québécois. Ils mènent aussi dans les régions, y compris chez les francophones.

À partir de maintenant, les pires ennemis des libéraux sont l'arrogance, le triomphalisme et les gaffes de campagne, qui, comme on le sait, sont parfaitement imprévisibles.

Ceux qui trouvaient la campagne déjà trop pépère risquent de rager encore plus parce que Jean Charest n'a aucun avantage, avec de tels chiffres, à trop forcer le jeu.

Ses deux rivaux, par contre, vont devoir ouvrir la machine.

Pour Mario Dumont, la cause est presque désespérée, ce qui est toujours risqué. On veut trop en faire, on attaque trop et, bien souvent, on trébuche. Au moins une chose est claire pour Mario Dumont : il peut oublier le pouvoir et se concentrer maintenant à sauver un maximum de sièges. Pour le reste, il doit miser sur le débat des chefs, un exercice que l'a bien servi la dernière fois.

C'est plus compliqué pour Pauline Marois. La campagne est encore jeune, et elle peut encore espérer prendre le pouvoir.

Ce début de campagne, toutefois, est décevant pour les péquistes, qui ont perdu des points au lieu d'en arracher aux libéraux malgré une bonne performance de leur chef. Les accrochages de la semaine dernière et les attaques nourries de MM. Charest et Dumont ont fait mal à la chef du PQ.

Il semble bien que les libéraux ne s'écrouleront pas, même si les électeurs sont opposés à ces élections. Au contraire, ils ont repris le terrain perdu.

Pauline Marois devra provoquer quelque chose elle aussi. Ne vous étonnez donc pas trop si le thème de l'identité québécoise revient sur le tapis avant longtemps.

Des nouvelles de Winnipeg

Un congrès, normalement, c'est l'occasion rêvée pour un parti politique de projeter dans l'opinion publique une image d'unité, de détermination, de force.

Les conservateurs, eux, ont plutôt choisi de se servir de leur premier congrès en trois ans, leur premier depuis qu'ils sont au pouvoir, pour afficher leur paranoïa galopante et leur manque de transparence.

Les délibérations des militants réunis en atelier hier se sont donc déroulées à huis clos. Les journalistes n'avaient même pas accès aux corridors qui longent les salles du Centre des congrès de Winnipeg. Un peu partout, on voit des panneaux jaunes qui disent : «No media access.»

En fait, les vilains médias sont confinés dans le coin le plus excentré du grand immeuble, contraints de faire de grands détours pour se rendre du point A au point B. Et réduits à attendre que des délégués sortent et veuillent bien leur parler de ce qui se passe derrière les portes closes.

Même les députés des autres partis, observateurs au congrès (une pratique courante dans tous les congrès), se sont vu interdire l'accès. Des bénévoles du Parti conservateur sont postés aux entrées et scannent le code barre des accréditations pour savoir qui peut entrer ou non. Pour les journalistes, c'est plus simple : on nous a donné des cartes jaunes, faciles à reconnaître. Jaune = dehors !

Les délégués du Québec, surtout les députés, ont critiqué en privé ces excès de zèle de leur parti. La députée Sylvie Boucher a même tenté, en vain, d'intervenir pour que puissent entrer les députés des autres partis.

Même Preston Manning, ancien chef du Reform Party, s'est vu interdire l'entrée parce qu'il n'avait pas de carte d'accréditation accrochée au cou.

Stratégiquement, c'est un drôle de choix que de miser sur le secret. D'autant plus que ce congrès, selon les informations arrachées à la pièce, a permis aux conservateurs d'adoucir un peu le programme du parti, de le ramener encore un peu au centre.

Comme l'a si bien expliqué Stephen Harper en point de presse : «Les organisateurs du congrès ont pris des décisions dans le meilleur intérêt du parti.»