Une campagne électorale et près de 300 millions plus tard, il y a quelque chose d'un peu curieux dans le spin des conservateurs, qui insistent pour présenter leur nouveau cabinet sous le signe de la « continuité ».

Si M. Harper voulait simplement faire quelques réaménagements aux étages inférieurs de son cabinet et garder le noyau dur, il aurait pu nous épargner un nouveau scrutin. Un remaniement aurait suffi.

Cela dit, ce nouveau cabinet, avec ses nombreuses recrues, avec ses femmes et de par sa jeunesse et sa taille, est davantage caractérisé par le changement que par la continuité. Vrai, le ministre des Finances, pièce centrale du grand puzzle, reste le même, mais pour le reste, Harper II est assez différent de Harper I.

Une dizaine de nouveaux venus, un nombre record de femmes, une moyenne d'âge (basse en politique) de 50 ans et, au total, 38 postes, ce qui s'éloigne de la doctrine rigoriste des conservateurs. Ceux-ci étaient les premiers à critiquer les gros cabinets luxueux des libéraux. Or, le gouvernement de Paul Martin comptait 39 limousines, soit une seule de plus que celui de M. Harper.

Ce qui frappe d'abord, c'est à quel point la composition de ce nouveau gouvernement reflète le résultat des élections.

L'Ontario a répondu à l'appel de Stephen Harper en lui donnant 51 députés. Elle a été récompensée hier avec 13 ministres. La Colombie-Britannique, elle aussi sympathique aux conservateurs, prend du poids à Ottawa.

Dans Harper II, c'est l'Ontario qui gouverne. Les deux principaux piliers du gouvernement conservateur, l'économie et la loi et l'ordre, sont, en effet, dirigés par des Ontariens. (Jim Flaherty aux Finances, Tony Clement à l'Industrie, Diane Finley et Lisa Rait, respectivement aux Ressources humaines et aux Ressources naturelles. Peter Van Loan à la Sécurité publique et Rob Nicholson à la Justice.)

Tout le contraire pour le Québec, ce qui était prévisible.

Avec seulement 10 députés, dont la moitié n'est pas ministrable, M. Harper ne pouvait certes augmenter le nombre de ministres québécois autour de la table de son cabinet.

Le Québec garde donc cinq ministres, mais leur influence au cabinet a été affaiblie à un niveau rarement vu dans un gouvernement fédéral. Pour un Lawrence Cannon, promu aux Affaires étrangères, deux autres « seniors », Josée Verner et Jean-Pierre Blackburn, subissent une rétrogradation.

M. Cannon s'occupera des Affaires étrangères, qui ne sont pas une priorité au sein de ce gouvernement conservateur. M. Blackburn hérite du Revenu, un ministère qui fonctionne tout seul. Mme Verner se retrouve dans l'ombre de son chef aux Affaires intergouvernementales (souhaitons d'ailleurs qu'elle réponde plus vite à Québec qu'elle ne le faisait à Patrimoine pour les dossiers culturels...).

Christian Paradis prend du galon et devient lieutenant conservateur au Québec, mais est-ce que le député de Mégantic-L'Érable aura vraiment l'oreille du cabinet quand il défendra les dossiers de Montréal, dont il a la responsabilité ?

Quant à Denis Lebel, il prend le relais de Jean-Pierre Blackburn au développement économique régional (Québec), ce qui fera plaisir à son homologue québécois, Raymond Bachand, mais on ne peut pas parler ici d'un ministère majeur dans la grosse machine fédérale.

Pire encore pour le Québec : le premier ministre Harper répète sans cesse que l'économie est la priorité absolue, mais il n'a nommé aucun Québécois à un poste économique. À moins, bien sûr, que dans un excès d'enthousiasme, on considère que le Revenu soit un ministère économique.

Par ailleurs, la perte du ministre-sénateur Michael Fortier laisse un grand trou béant à Montréal, à un moment où la Ville a bien besoin d'un allié au cabinet fédéral. Le message de M. Harper aux Montréalais est limpide : la dernière fois, il a piétiné ses principes pour nommer un non-élu, mais cette fois, Montréal n'aura pas de traitement de faveur.

Christian Paradis, nouveau responsable de Montréal, est un jeune homme studieux et plein de bonne volonté, mais certains dossiers, comme le Grand Prix, nécessitent des actions rapides et déterminées. En ce sens, Montréal aurait certainement était mieux servi par Lawrence Cannon.

Il faut aussi se demander quel sera l'impact de ce nouveau cabinet sur les relations avec Québec.

À vrai dire, on voit mal comment ces relations pourraient être pires que ce qu'elles étaient devenues à la fin de Harper I. En particulier avec les ministres Jean-Pierre Blackburn, persona non grata au gouvernement Charest, et Josée Verner, en froid avec Québec et le milieu artistique.

Ces deux sources d'irritation majeures ayant été déplacées, on verra comment se débrouilleront le nouveau titulaire de DEC, Denis Lebel, et son collègue du Patrimoine, James Moore.

Ce dernier arrive à Patrimoine à un moment bien difficile. Après Bev Oda et Josée Verner, M. Moore sera-t-il le prochain ministre à s'y casser la gueule ?

Deux autres surprises, en terminant.

Une bonne, d'abord : Jim Prentice à l'Environnement. Un Albertain à l'Environnement, quelle horreur, diront les écologistes. Mais M. Prentice a la réputation bien méritée d'être un ministre très efficace et la nomination de cet homme de confiance du premier ministre à ce poste envoie le message d'un réalignement dans ce ministère négligé.

Puis, une mauvaise surprise : le maintien en poste (à l'Agriculture) de Gerry Ritz, celui-là même qui s'est empêtré dans l'affaire de la listériose et qui a même trouvé le moyen de faire des blagues sur le sujet.

Comme quoi, malgré certains changements, Harper II peut se montrer aussi têtu et insensible que Harper I.