Tôt lundi matin, la campagne électorale n'était même pas terminée que, déjà, Bernard Landry se réjouissait du résultat à venir pour le Bloc québécois.

«Je suis très satisfait du résultat, m'a-t-il dit en sortant d'un plateau de RDI. Cela prouve que nous sommes déjà deux pays.»

 

Pour l'ancien premier ministre, le fait que les conservateurs de Stephen Harper aient été incapables de percer au Québec démontre que leur culture est incompatible avec la nôtre. Le réflexe des Québécois de s'en remettre massivement aux députés du Bloc démontre qu'ils sont distincts, au point de réagir comme des citoyens d'un pays en propre, selon l'ancien premier ministre.

M. Landry a raison: les Québécois ont réagi de façon distinctive, notamment en rejetant les coupes en culture et le durcissement des lois contre les jeunes contrevenants.

Mais de là à dire que cela prouve que le Québec, de fait, est déjà un pays, c'est moins évident.

Et si, contrairement à ce qu'en pense M. Landry, la persistance du Bloc à Ottawa démontrait que les Québécois sont à l'aise dans le régime fédéral, à condition d'y être représentés par les leurs, par des gens qui véhiculent les valeurs dominantes?

Après tout, il faut être honnête, Gilles Duceppe a répété qu'un vote pour le Bloc n'était pas nécessairement un vote pour la souveraineté. Ce serait un détournement de mandat que de prétendre aujourd'hui le contraire.

M. Landry voit dans les succès répétés du Bloc la preuve de l'existence du pays du Québec; les Québécois, eux, semblent plutôt y voir la démonstration d'une cohabitation acceptable avec le reste du pays. Un mariage de raison, en quelque sorte.

Avec le Bloc, les Québécois s'offrent un sentiment d'indépendance, mais confirment de facto leur appartenance au régime fédéral.

C'est la prophétie de Lucien Bouchard qui se réalise. Le Bloc, disait son fondateur il y a 15 ans, mesurera son succès à la brièveté de son séjour à Ottawa, sinon il deviendra la police d'assurance des Québécois.

C'est exactement ce que le Bloc est devenu. Et c'est ce qui démontre sa pertinence. Dans ces élections, le Bloc est devenu une très efficace assurance anti-Harper. Et plus que jamais, avec ce nouveau gouvernement minoritaire, le Bloc constitue un rouage important des relations entre Ottawa et Québec.

Gilles Duceppe est même devenu, à la faveur de la dernière campagne, le messager privilégié de Jean Charest.

Or ce rôle prend soudainement une importance capitale puisque ni les conservateurs ni les libéraux ne sont équipés pour jouer ce rôle. Les conservateurs ont perdu leur ministre de la région de Montréal et les libéraux, décimés au Québec, devront encore une fois s'occuper d'abord de se trouver un nouveau chef.

L'avenir du Grand Prix, le quartier des spectacles, les infrastructures stratégiques de Montréal, notamment, sont des dossiers urgents qui doivent être défendus à Ottawa.

Il faudra aussi rappeler au gouvernement conservateur l'importance d'un financement adéquat des industries culturelles et l'opposition du Québec à la ligne dure envers les jeunes contrevenants.

À plus long terme, le Bloc doit se faire le porte-voix des demandes du Québec en matière de lutte contre les changements climatiques.

Encore là, c'est le Bloc qui doit porter le ballon.

Malgré la rhétorique guerrière de la dernière campagne, malgré les insultes, Gilles Duceppe a maintenant le devoir de jouer le jeu. À tout le moins, de donner une chance à ce Parlement de fonctionner.

Gilles Duceppe est assez expérimenté pour comprendre ça et pour comprendre que les Québécois ne veulent rien savoir de nouvelles élections à court terme. Ce qui devrait se traduire par une trêve d'au moins 18 mois.

Le chef du Bloc a mis Stephen Harper au défi de respecter, cette fois, sa loi sur les élections à date fixe. Il serait pour le moins paradoxal qu'il ne respecte pas, lui, une trêve électorale.

Au fait, Gilles Duceppe sera-t-il là dans 18, 24 mois? C'est douteux. Chose certaine, le résultat de mardi lui permet, s'il le souhaite, de partir la tête haute. Faudra surveiller la prochaine partielle au Québec, au cas où M. Duceppe serait tenté d'aller tâter de la politique québécoise.

De toute façon, il n'y a pas le feu, rien ne devrait se passer tant que les libéraux n'auront pas réglé le cas Dion, qui devra partir tôt ou tard.

Pour M. Dion, il y a deux façons de tirer sa révérence: dans l'honneur ou dans la douleur. À la fin, c'est le même résultat. Déjà, les aspirants s'activent.

Un petit détail dont on a peu parlé depuis mardi soir: Stéphane Dion traîne encore une dette de sa campagne à la direction estimée, par des libéraux bien branchés, à environ 200 000$.

Seul, c'est lourd à porter, une dette de 200 000$. Mais avec un peu d'aide de la machine libérale, ça peut se régler rapidement.

Vous me voyez venir. Certains libéraux pourraient être tentés d'effacer la dette de M. Dion en échange d'un départ volontaire rapide et en douceur.

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