Ça aura été la soirée des paris perdus.

Stephen Harper a échappé de peu une majorité. 

Stéphane Dion a perdu son job (il n'y avait que lui, hier soir dans sa propre circonscription, pour ne pas admettre cette évidence).

Gilles Duceppe a gagné sa bataille et il a privé les conservateurs d'une majorité, mais il a vu les appuis du Bloc baisser encore une fois.

Le Québec a perdu du poids au sein du gouvernement avec la perte de son seul ministre de la région de Montréal.

Elizabeth May a mordu la poussière dans Halifax et les verts ont obtenu un score décevant, en particulier au Québec.

Et les Canadiens ont dépensé 300 millions pour se retrouver avec un résultat très semblable à ce qu'ils avaient avant les élections.

Seul Jack Layton peut se vanter ce matin d'avoir sensiblement amélioré son sort par rapport aux dernières élections.

Stephen Harper a remporté une deuxième élection, avec plus de sièges qu'en 2006, il a poussé les libéraux dans les câbles et il est toujours au pouvoir ce matin. Voilà pour les bonnes nouvelles.

Il y a aussi quelques mauvaises nouvelles. D'abord, il n'a pas réussi à remporter une majorité devant un chef libéral faible et impopulaire. Il n'a pas réussi à faire des gains significatifs dans les grandes villes. Et il a échoué à réaliser la percée tant espérée au Québec, une percée qui lui aurait permis d'obtenir une majorité.

Les conservateurs pensaient il y a cinq semaines pouvoir prendre de 8 à 15 sièges de plus au Québec, précisément ce qui leur manque pour obtenir une majorité. Cet échec au Québec ramène les conservateurs à la case départ, encore une fois. M. Harper n'est pas contesté au sein de son parti, mais il devra néanmoins rendre des comptes sur les ratés de sa campagne au Québec.

Surtout, il n'a pas le mandat fort qu'il réclamait pour faire face à la crise financière.

En plus, il est maintenant opposé à trois partis qui totalisent plus de 160 sièges. Ces partis ont tous fait campagne pour bloquer les conservateurs et c'est ainsi qu'ils comprendront le mandat reçu hier soir.

Autrement dit, le résultat d'hier soir ne change pas grand-chose à la donne. Les prochains mois s'annoncent aussi houleux aux Communes qu'avant cette élection.

Combien de temps durera ce gouvernement?

M. Harper a peu de temps devant lui puisque les libéraux devront se trouver un autre chef. La victoire des conservateurs hier, c'est aussi le lancement de la nouvelle course à la direction du PLC. Stéphane Dion conclut des résultats d'hier que les «Canadiens lui demandent d'être chef de l'opposition». Tous les libéraux croisés hier soir dans Saint-Laurent-Cartierville ont plutôt conclu que c'était la fin de l'épisode Dion.

Ils devront maintenant organiser et financer une nouvelle course à la direction, solliciter les mêmes militants et probablement se taper une autre guerre fratricide. En un sens, il aurait probablement été plus bénéfique pour les libéraux que les Canadiens élisent un gouvernement majoritaire, ce qui leur aurait donné quatre ans pour se réorganiser.

Au Québec, le Bloc n'a pas donné aux conservateurs le coup de grâce espéré. Pire, le Bloc perd encore des appuis, passant de 42 % en 2006 à 38 %.

Surprise, les libéraux ont repris du poil de la bête. Pas assez pour reprendre le terrain perdu depuis les années Chrétien, mais les gains d'hier donnent des bases pour reconstruire.

Résultat: le premier ministre Harper n'a pas plus de ressources au Québec pour élaborer son Conseil des ministres, il n'y a plus de ministre pour la région de Montréal et aucun gain dans les régions.

Jamais depuis le gouvernement minoritaire de Joe Clark, en 1979, le Québec a-t-il été à ce point faible à Ottawa. Le Québec se retrouve donc affaibli au cabinet, ce qui n'est pas gage de sérénité pour les mois à venir.

Cette campagne a été dure entre le Bloc et les conservateurs. Les compromis seront difficiles. Même si le Bloc n'a pas fait aussi bien que Gilles Duceppe aurait aimé, il pourra dire qu'il a reçu le mandat de s'opposer au gouvernement Harper.

Le premier ministre a laissé entendre que certains projets de loi, comme celui durcissant les sentences envers les jeunes contrevenants, seront soumis aux Communes comme des votes de confiance.

Les compressions dans les programmes culturels représentent aussi une autre pomme de discorde. Les conservateurs, qui font du surplace au Québec, accepteront-ils de reculer pour obtenir l'appui du Bloc?

Nous pourrions donc nous retrouver rapidement de nouveau en campagne électorale. Du moins, dès que les libéraux auront choisi un autre chef.

Chose certaine, le scénario d'une coalition des partis de l'opposition renversant le gouvernement Harper pour prendre le pouvoir, déjà improbable, vient de prendre du plomb dans l'aile.

La suite de l'histoire, dans l'immédiat, se transporte sur la scène politique provinciale.

Le résultat d'hier refroidira sans doute les ardeurs électorales de Jean Charest. Du moins, il lui enlève son principal argument pour déclencher des élections : donnez-moi un mandat fort pour faire face à un gouvernement conservateur majoritaire.

Cela dit, comme le Québec se retrouve ce matin affaibli au pouvoir à Ottawa, Jean Charest pourrait être tenté de convaincre les Québécois qu'ils ont besoin d'un gouvernement fort à Québec pour faire contrepoids. D'autant que, encore une fois, les souverainistes accusent un recul et que l'alliance ADQ-conservateurs n'a pas été concluante.

Dans cette perspective, les premiers signaux du nouveau gouvernement Harper envers le Québec (formation du cabinet, réponse aux demandes de Jean Charest, adoucissement ou durcissement des politiques en justice et en culture).

Le premier face-à-face de MM. Harper et Charest, cette fin de semaine à Québec dans le cadre du Sommet de la francophonie, sera déterminant.