Stéphane Dion a beaucoup, beaucoup, beaucoup parlé hier, à Toronto.

Un long discours, hier midi, devant plusieurs centaines de personnes réunies par l'Empire Club et le Canadian Club, une longue entrevue (passage obligé) à MuchMusic et (autre passage obligé) un face-à-face d'une heure avec Peter Mansbridge de CBC.

Mais ce ne sont pas les paroles qui résument le mieux sa journée. C'est le ton de son discours, les sourires en coin, la réaction de ses adversaires conservateurs et celle des gens venus l'écouter au chic Royal York.

 

Bien sûr, Toronto est une terre conquise pour les libéraux. Bien sûr, M. Dion fait un tabac devant des jeunes chez MuchMusic quand il parle d'environnement. Mais voici un chef qui devait se casser la gueule, surtout en anglais, et qui mène, finalement, une campagne de grande qualité.

Voici un chef qui faisait frémir de crainte ses propres députés, il y a tout juste un mois, lors de leur dernier caucus avant le déclenchement des élections, et qui reçoit aujourd'hui un accueil plus que chaleureux de l'élite de Bay Street.

Tout un contraste avec la situation d'il y a quelques semaines à peine. Tout un contraste, même, avec le débat en anglais de la semaine dernière, qui a été une expérience laborieuse pour M. Dion.

Hier, le chef libéral était très à l'aise, au point de se moquer lui-même de son accent quand il parle anglais. Les collègues qui couvrent la caravane depuis le début affirmaient hier sans détour que son discours devant le Canadian Club était, de loin, son meilleur depuis le début de la campagne.

Vrai, il était très bon. Mais sans rien vouloir lui enlever, le fait que son adversaire conservateur soit tellement mauvais l'avantage grandement. Ce que les gens disaient, hier au Royal York après son discours, c'est que Stéphane Dion est sincère. Encore là, la comparaison l'avantage puisque Stephen Harper traîne, lui, la réputation d'être insensible aux problèmes de ses concitoyens.

Pour un homme qui dit tellement aimer son job de premier ministre, M. Harper fait bien des efforts pour le perdre. En affirmant mardi que l'effondrement des marchés mondiaux représentait dans les faits une occasion unique d'acheter des titres à la baisse, M. Harper a inscrit en lettres d'or son nom dans le grand livre des gaffes mémorables de campagnes électorales.

Techniquement, M. Harper, qui est économiste, a tout à fait raison. Mais en ce moment, la dernière chose que les petits épargnants veulent entendre, c'est que le moment est propice pour investir encore plus à la Bourse, eux qui sont en train d'y perdre leur coussin de retraite.

Pas de doute, il s'est passé quelque chose (finalement!) dans cette campagne électorale au cours des 48 dernières heures.

Les gaffes et les problèmes de communication de la campagne conservatrice ont fait tourner le vent en faveur des libéraux. On le voit dans les chiffres des sondages nationaux, on le sentait hier très distinctement dans la campagne libérale.

Est-ce assez pour que Stéphane Dion se mette à rêver au 24, Sussex? Non, pas encore. D'ailleurs, personne dans son entourage n'ose avancer même en privé ce scénario. Cela dit, le bonhomme pourrait, une fois de plus, nous faire ravaler nos prédictions.

Une journée ne fait pas une campagne et les sondages sont contradictoires (Harris-Decima accorde 31% aux conservateurs contre 27% aux libéraux, mais Ekos avance plutôt 35%-24%, avec une avance des bleus en Ontario). Mais, bon, les libéraux sentent le bon vent et Stéphane Dion ne va certainement pas bouder son plaisir.

Fallait voir son sourire quand un journaliste a évoqué en point de presse la possibilité d'un «premier ministre Dion minoritaire». Un chat qui a avalé un canari.

Fallait aussi voir le ministre conservateur Peter Van Loan s'agiter nerveusement dans les corridors du Royal York pour décrier le discours du chef libéral pour comprendre que les conservateurs ont eux aussi senti le vent. Dans ce cas-ci, M. Van Loan avait plutôt l'air du canari.

La journée d'hier aura aussi été celle des grandes retrouvailles dans la famille libérale et de la rédemption pour son ancien chef, Paul Martin. Celui-ci, en arrivant à la table d'honneur du Canadian Club, a été longuement ovationné (deux fois plutôt qu'une) et présenté par Stéphane Dion comme le meilleur ministre des Finances de l'histoire du Canada. Dans son for intérieur, ce brave Paul Martin devait se dire: «Merci, mais vous arrivez 30 mois trop tard...»

On a aussi entendu, moment savoureux, Paul Martin pourfendre Stephen Harper parce qu'«il ne fait rien face à la crise financière». M. Dithers en personne qui accuse son successeur de dormir au gaz...

Dans un excès d'enthousiasme, M. Martin a même annoncé, à tort, que le gouvernement Harper avait replongé le gouvernement en déficit.

C'est le luxe des partis de l'opposition: ils peuvent en beurrer plus épais et, parfois, dire n'importe quoi.

Maintenant qu'il devient un acteur sérieux, Stéphane Dion devra toutefois faire attention parce que l'on scrutera ses moindres paroles, on disséquera ses promesses et son programme.

C'est facile de promettre des jobs et encore des jobs, comme l'a fait toute la journée d'hier M. Dion, mais faudra tout de même expliquer où elles se trouvent.

Facile aussi de parler du Tournant vert comme d'une solution miracle. Le problème, c'est que ses deux principaux lieutenants, Bob Rae et Michael Ignatieff, en font une analyse différente.

Stéphane Dion s'arrêtera au Québec ce soir, dans Laval-Les Îles, une circonscription libérale solide, selon CROP. Le chef libéral ne fera qu'un bref arrêt, retournant aussi vite à Toronto. C'est là qu'il joue sa campagne. Au Québec, c'est peine perdue, malgré une augmentation de ses appuis.

Le Québec reste, plus que jamais, terre bloquiste, comme le démontrent nos coups de sonde dans certaines circonscriptions. C'est surtout une mauvaise nouvelle pour les conservateurs, qui nourrissaient de grandes ambitions.

Même dans la ville de Québec, le Bloc risque de reprendre les bastions perdus.

Suffit de relire l'entrevue qu'a accordée hier le maire de Québec, Régis Labeaume, à mon collègue Patrick Lagacé ou de voir l'entrevue du maire Labeaume ce soir à Bazzo.tv pour vous en convaincre.

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