Le dicton selon lequel il suffit de chasser le naturel pour qu'il revienne au galop aura rarement été aussi vrai qu'en ce moment au Québec.

Vrai pour Stephen Harper, qui, malgré des efforts pour paraître plus chaleureux, demeure froid comme un reptile. Et vrai pour les Québécois, qui semblaient vouloir se laisser tenter par les conservateurs, mais qui n'ont pas surmonté leur peur.

 

Stephen Harper a beau avouer qu'il a pleuré la mort de soldats canadiens en Afghanistan, se montrer dans des pubs en train de boire un jus d'orange avec ses ministres, se faire photographier avec ses deux jeunes enfants ou faire campagne chemise ouverte, il reste un personnage distant.

Les Québécois, eux, ont montré des signes évidents d'intérêt pour ce leader peu charismatique mais efficace, tout en continuant à s'interroger sur ses véritables intentions.

M. Harper n'a rien fait pour dissiper les doutes en forçant la note, avec une opiniâtreté aussi dogmatique que contreproductive, dans les domaines de la culture et des peines pour les jeunes criminels.

Nous sommes ici devant un cas classique de «trop, c'est comme pas assez». En parlant de compressions en culture et de jeunes délinquants, les conservateurs voulaient fragmenter le vote, mobiliser leur base. En insistant trop lourdement, ils ont réveillé les craintes... et leur adversaire bloquiste.

En ce sens, la publicité sur les coûts du Bloc, lancée la semaine dernière par le ministre Michael Fortier, aura fait plus de mal que de bien aux conservateurs. Elle a été mal reçue par la clientèle visée (des électeurs, justement, qui ont voté Bloc dans le passé) et elle a fouetté les bloquistes qui jouaient jusque-là sur les talons. Un bel exemple de publicité négative qui se retourne contre son auteur.

En plus, il faut dire que Stephen Harper ne casse rien dans cette campagne.

Contrairement à 2006, il ne propose pas aux Québécois d'éléments accrocheurs, rassembleurs. Il semble que M. Harper ait eu peur de se faire dire dans le reste du pays qu'il en fait trop pour le «bébé gâté de la fédération», un reproche qui avait collé à la peau de Brian Mulroney.

Le résultat des trois premières semaines de campagne est négatif pour les conservateurs au Québec, si on se fie aux sondages ciblés que nous publions ce matin. Pas de gain en vue en Outaouais, à Québec et au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Au contraire, son ministre Jean-Pierre Blackburn traîne de la patte dans Jonquière-Alma et Luc Harvey est menacé dans Louis-Hébert.

La reconquête du Québec reste difficile pour les conservateurs. Et ce n'est certainement pas le style de campagne paranoïaque et hypercontrôlée, à partir d'Ottawa, qui aidera les candidats conservateurs à se rapprocher du peuple.

Craignant de voir leurs candidats gaffer, les stratèges du «national» ont donné le mot d'ordre d'éviter le plus possible les médias.

Prenez la candidate dans Trois-Rivières, Claude Durand, une femme connue (elle fut présidente de la Chambre de commerce) en lice dans une circonscription «prenable», mais qui fuit littéralement les médias depuis quelques jours.

Autre exemple: la semaine dernière, mon collègue André Noël et moi avons tenté de joindre quatre candidats, Darryl Gray, René Vincelette, Luc Harvey et Pierre Grandmaître. Résultat: seul Pierre Grandmaître, attrapé sur son cellulaire, a parlé à La Presse.

Candidat dans Abitibi-Témiscamingue, M. Grandmaître a toutefois refusé l'invitation de Radio-Canada de débattre contre ses adversaires, ce qui est d'ailleurs la norme chez les conservateurs depuis le début de la campagne.

«Nous n'avons pas donné de mot d'ordre de ne pas participer à des débats, explique le porte-parole du PCC, Jean-Luc Benoît. Nous avons seulement dit à nos candidats que ce n'est peut-être pas la meilleure façon de maximiser leur temps de campagne.»

Même les gros canons, ceux qui devaient «vendre» le Parti conservateur au Québec, se déguisent en courant d'air. C'est le cas de Maxime Bernier, interpellé par son adversaire libéral en Beauce, qui cherche à débattre contre lui. Ou de Josée Verner, à qui il a fallu des jours avant de défendre ses coupes en culture. Mme Verner ajoute son nom à la longue liste des conservateurs qui ne rappellent pas La Presse.

(Certains candidats retournent toutefois les appels, notamment André Komlosy dans Drummond, André Bachand dans Sherbrooke et Stéphane Roof dans Saint-Maurice).

Ironiquement, au Québec, le conservateur le plus visible est le seul ministre non élu, Michael Fortier. Cela en dit long sur ce que le PCC pense de ses propres candidats.

Pas étonnant, ce silence, quand on lit les commentaires du candidat conservateur dans Laurier-Sainte-Marie, Charles Langford, tels que rapportés par notre blogueur affaires, Richard Dufour: «J'aimerais bien (vous parler de la campagne), mais je ne peux pas. Stephen Harper ne me permet pas de parler de politique avec un journaliste qui n'est pas affecté à la couverture de la campagne électorale à plein temps», a dit M. Langford.

Pas étonnant, non plus, quand on constate que l'entourage de M. Harper n'hésite pas à faire appel aux bras de la GRC pour tenir les médias à l'écart. C'est arrivé en début de campagne à Saint-Eustache et la semaine dernière en Colombie-Britannique quand les médias nationaux ont tenté de poser des questions à la veuve de Chuck Cadman, Dona, qui se présente pour les conservateurs.

La fuite n'est pas exclusive aux candidats du Québec. Les collègues du Regina Leader Post cherchent le ministre de l'Agriculture, Gerry Ritz, depuis une semaine, et les médias d'Ottawa se plaignent de l'invisibilité du ministre de l'Environnement, John Baird.

Sans surprise, les adversaires des conservateurs les accusent de pleutrerie, de mépris et d'arrogance.

Ils n'ont pas tort.

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