Nous en sommes déjà presque à mi-campagne, ce matin, et à part les excuses, les attaques et les publicités négatives, l'électeur moyen n'aura pas trouvé grand objet de passion dans cette bataille électorale.

Bon, passion, le mot est fort, j'en conviens. Parlons seulement d'intérêt, alors. Même ça, on ne le sent pas vraiment sur le terrain, ni dans les courriels, ni, surtout, dans les campagnes des chefs.

 

Déjà deux grosses semaines de passées et pas un seul grand rassemblement de 1000 ou 2000 partisans. Que de petites escales bien contrôlées ou des points de presse minutés. Aux États-Unis, pendant ce temps, le moindre whistle-stop (expression née au temps où les politiciens parcouraient le pays en train, s'arrêtant à chaque gare) de Barack Obama réunit plus de monde que toutes nos caravanes ne le font ici en une semaine.

Pourtant, cette campagne fédérale se déroule autour d'un enjeu fondamental pour la suite des choses: opter pour l'idéologie très interventionniste des libéraux ou celle de l'État minimum des conservateurs. Avec, en prime, pour les électeurs québécois, une autre grave question: continuer, ou non, avec le Bloc québécois.

Nous aurons ce matin, à Ottawa, une autre illustration frappante des deux idéologies dominantes en opposition, avec le dévoilement du programme électoral du Parti libéral.

On verra si Stéphane Dion réussira là où il a échoué depuis deux semaines: imposer le thème de l'environnement dans cette campagne. Et, plus difficile encore, s'imposer comme une véritable solution de rechange au premier ministre Stephen Harper.

On verra aussi, c'est typiquement libéral, un florilège de nouveaux programmes et quelques milliards de dépenses à la clé.

Après les milliards annoncés dans les deux dernières semaines en santé, en éducation, en culture, en immigration, en infrastructures, en agriculture, en services de garde, en environnement, alouette, on voit mal où et comment le chef libéral trouvera d'autres fonds pour financer de nouveaux programmes. Faites toutefois confiance à l'imagination des stratèges libéraux.

Des sources fiables m'ont indiqué que Stéphane Dion promettra, notamment, la transformation des projets pilotes d'assurance emploi pour les travailleurs saisonniers en programmes permanents. Ces mesures temporaires lancées par le précédent gouvernement Martin en 2005 et visant à combler le fameux «trou noir» des travailleurs des pêches, de la forêt et du tourisme, notamment, prennent fin à la fin octobre et n'ont pas été renouvelées par le gouvernement Harper.

Les libéraux espèrent, avec cette promesse, maintenir leurs appuis principalement dans les Maritimes. Dans un monde idéal, cette promesse aiderait aussi les libéraux dans l'est du Québec, mais encore faudrait-il qu'ils aient une structure électorale digne de ce nom pour en profiter. Faute de libéraux, ce sont les bloquistes qui tireront profit du débat du «trou noir» avec le gouvernement Harper.

Encore une fois, on revient au coeur de cette campagne qui se cherche. On revient aux deux idéologies qui s'affrontent: l'État providence ou l'individualisme.

En gros, les libéraux (et le Bloc, et le NPD) promettent de nouveaux programmes, et les conservateurs proposent des baisses d'impôts. Les crédits d'impôt de Stéphane Dion contre le chèque de 100$ par mois par enfant de Stephen Harper. L'aide fiscale aux routiers et aux fermiers des libéraux contre la baisse de la taxe sur le diesel des conservateurs.

Les chiffres et les promesses du programme libéral ne feront, ce matin, qu'accentuer le gouffre qui sépare ces deux idéologies.

D'un côté, Stéphane Dion qui monte sur les planches de la Place des Arts pour promettre des millions en culture et, de l'autre, la ministre Josée Verner qui dit à Québec: La culture est votre priorité? Grand bien vous fasse, ce n'est pas la nôtre.

D'un côté, le premier ministre Charest qui réclame l'engagement financier d'Ottawa au Québec, de l'autre, le ministre Jean-Pierre Blackburn qui coupe les vivres aux organismes de développement régional.

Le ministre Blackburn, le «méchant» préféré du gouvernement Charest, qui me disait en entrevue, il y a quelques semaines: «C'est plus facile de dire oui tout le temps, mais il faut trouver de nouvelles façons de fonctionner. On doit couper le cordon, changer les mentalités. Les organismes doivent apprendre à voler de leurs propres ailes.»

Cela dit, M. Blackburn veut bien couper le cordon de Montréal International et sevrer l'Agence mondiale antidopage ou l'Institut de la statistique, qui toucheront des subventions fédérales jusqu'en 2021, mais il ne fermera pas le robinet dans sa propre circonscription, la plus choyée du Québec par Développement économique Canada.

Outre les indulgences du ministre Blackburn envers ses électeurs, les conservateurs chérissent, en effet, l'idée de «couper le cordon». En un sens, Stephen Harper est en train de faire à Ottawa ce que Jean Charest rêvait de faire quand il a pris le pouvoir à Québec.

Quand on se rappelle la résistance à laquelle a dû faire face Jean Charest, on comprend mieux pourquoi le Bloc, malgré ses problèmes existentiels, reste une force politique au Québec.