Merci à Olie et au projet de loi 103 qu'elle a inspiré : les enfants transgenres pourront vivre en paix avec leur identité sexuelle sans craindre le jugement des autres.

Je ne vous aurais probablement pas dit ça avant de la rencontrer et de parler longuement avec sa mère, une femme engagée et inspirante. Mais, après avoir passé près de deux heures en leur compagnie, à l'ombre des arbres dans la cour de leur maison de l'ouest de l'île, je peux vous dire qu'Olie a toutes les raisons d'être fière d'avoir fait avancer les droits des enfants comme elle : les enfants pas comme les autres.

Olie est une belle grande adolescente de 13 ans, 5 pieds 9 pouces, cheveux longs, née garçon. Elle fait partie d'une nouvelle génération de transgenres qui parviennent à affirmer plus vite leur identité. Une transition difficile, mais facilitée par l'échange d'expériences entre jeunes et des parents moins isolés.

Sa mère est québécoise - Annie Pullen Sansfaçon, professeure agrégée à l'École de travail social de l'Université de Montréal - et son père est anglais - Dan Pullen, programmeur. Olie possède deux nationalités. Et deux passeports. L'un britannique, l'autre canadien. Sur le britannique, elle est une fille. Sur le canadien, un garçon.

Mais tout cela devrait changer sous peu grâce au projet de loi 103 déposé mardi par la ministre de la Justice Stéphanie Vallée. Projet qui veut faciliter la reconnaissance de la vraie identité des enfants nés dans le « mauvais corps », comme le permet déjà l'Angleterre pour certaines pièces d'identité, notamment le passeport.

Ainsi, avec l'accord de ses parents, parce qu'elle n'a pas encore 14 ans, Olie pourra obtenir le changement de la mention de sexe inscrite à son acte de naissance : « F » à la place de « M » sur tous ses documents : passeport, mais aussi code permanent à l'école.

À partir de 14 ans, un enfant pourra lui-même solliciter la modification de la mention de son sexe auprès du Directeur de l'état civil.

« C'est très bien. Non, c'est excellent, m'a dit Olie. Je vais pouvoir être moi-même sans penser au jugement des autres s'ils voient un "M" sur mes cartes d'identité. Je vais me sentir beaucoup mieux dans ma peau.

- Tu n'es pas bien dans ta peau ?

- Oui, mais si la loi est adoptée, je vais être encore mieux. Je vais être moi-même. Là, je me méfie un peu. »

Le projet de loi 103 qu'elle a inspiré, après avoir rencontré la ministre de la Justice Stéphanie Vallée, peu après son entrée en fonction en avril 2014, prévoit aussi l'ajout de l'« identité de genre » comme l'un des motifs interdits de discrimination énumérés à l'article 10 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Olie avait fait une première sortie publique en faveur des enfants transgenres en 2012, dans le cadre d'un débat électoral organisé par le Conseil québécois des LGBT.

« Est-ce que vous allez me permettre à moi de changer mon "M" pour un "F" avant 18 ans ? », avait-elle demandé aux représentants de tous les partis.

Le projet de loi 103, qui sera discuté demain en Commission des relations avec les citoyens, devrait être adopté au plus tard le 10 juin.

Le Québec n'est pas la première province à se doter d'une telle mesure législative. Bien au contraire. La Colombie-Britannique, l'Alberta, le Manitoba, l'Ontario, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador permettent déjà aux transgenres de choisir leur sexe avant 18 ans.

Avec l'adoption de la loi 103, il n'y aura pas d'âge minimum pour demander un changement de mention de sexe. J'avoue que cette question d'âge me tracassait un peu. Que des adultes décident de changer d'identité, soit. Mais est-il raisonnable de prendre en charge le désir d'enfants de 3, 4 ou 5 ans ?

J'ai demandé à Olie à quel âge elle avait su qu'elle était une fille.

« Je l'ai toujours su, m'a-t-elle répondu. Je ne peux pas l'expliquer. Je ne l'ai jamais dit, mais je l'ai exprimé de différentes manières. »

La formation du genre, m'a appris sa mère, ne se construit pas à l'âge adulte, ni même à l'adolescence, mais à 3, 4, 5 ans.

Mais pour être avérée, une dysphorie du genre, terme utilisé pour parler de ceux qui ne se sentent pas en adéquation avec leur sexe de naissance, doit répondre à trois critères. Un : elle doit être persistante. Deux : constante. Trois : insistante. Ce n'est qu'à partir de là que l'enfant entrera dans un processus de « transition » vers l'autre sexe, pendant lequel il sera accompagné par un médecin, un psychiatre ou un psychologue.

Dans le cas d'Olie, cette transition s'est faite en douceur, « à la manière d'un caméléon ». Les premiers signes sont apparus vers l'âge de 5 ans quand elle a fait son entrée au primaire, où elle devait porter l'uniforme : des pantalons gris pour les garçons. Olie fréquentait alors une école anglicane, en Angleterre, où elle a vécu jusqu'en 2009, avec son petit frère Alex, aujourd'hui âgé de 11 ans.

De l'avis de tous les experts, mieux vaut écouter son enfant trop tôt que le laisser devenir un adolescent suicidaire ou un adulte mal dans sa peau. Les études américaines les plus récentes estiment que de 40 à 50 % d'entre eux font au moins une tentative de suicide avant d'avoir atteint la vingtaine.

« Je me trouve très chanceuse, dit Olie. J'ai des parents qui m'aiment et me soutiennent. Mais ce serait encore mieux si tout le monde avait la même chance. »

Combien de jeunes sont concernés ?

Aucune étude ne porte spécifiquement sur les enfants. Mais selon un rapport remis au Conseil de l'Europe, un enfant sur 500 aurait une identité de genre qui diffère du sexe qu'on lui a assigné à la naissance. Il ne faudrait pas confondre identité de genre et orientation sexuelle. La sexualité, c'est qui on aime. Le genre, c'est qui on est.

Le projet de loi 103 va permettre l'affirmation de cette identité. Une reconnaissance légale qui devrait faciliter la reconnaissance sociale de ces enfants plus souvent victimes de stigmatisation, d'intimidation et d'isolement social.

« Vous n'avez qu'à aller lire les commentaires qui vont sortir après la publication de cet article-là. Vous allez voir qu'on est vraiment dans une situation où la transphobie est belle et bien vivante », dit Annie Pullen Sansfaçon.

Le meilleur moyen de lutter contre la transphobie, c'est encore d'en parler.

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Les étapes

La première phase de la transition consiste à permettre à l'enfant transgenre de s'habiller comme il veut et de changer de prénom s'il le souhaite. La deuxième étape se produit à l'entrée de l'adolescence : le jeune peut prendre des médicaments qui vont stopper sa puberté. Ces médicaments n'entraînent pas d'effets irréversibles : si l'enfant suspend son traitement, la puberté va reprendre son cours. Troisième étape : la prise d'hormones féminisantes ou masculinisantes qui permettront d'amorcer la transformation en femme ou en homme. L'opération de changement de sexe peut être faite à 18 ans, mais elle n'est pas une étape obligée. De nombreux adultes transgenres sont à l'aise avec leur corps et ne ressentent ni le besoin ni l'envie d'être opérés.