Dans une lettre publiée le 24 avril dans La Presse+, Marie-Josée Audet invitait le ministre Barrette à passer 24 heures avec elle. « Vous donneriez le gavage de Mathias, ses médicaments, vous l'aspireriez avec la succion parce que la nuit, il s'étouffe, vous pourriez aussi lui administrer de l'oxygène et bien sûr, changer sa couche, son pyjama et ses draps parce que, malgré les piqués, mon fils mouille son lit », lui disait-elle.

Gaétan Barrette n'a pas répondu. Mais, moi, j'ai décidé d'y aller.

Marie-Josée est une de ces mères qui réclamaient des conditions semblables à celles des familles d'accueil et qui vient d'obtenir gain de cause. Le ministre de la Santé avait promis de leur donner des nouvelles au plus tard demain. Or la réponse est arrivée, vendredi, par l'entremise de la ministre déléguée à la réadaptation Lucie Charlebois. Les familles d'enfants lourdement handicapés auront droit à une compensation financière de plus de 12 000 $ par année. La mesure entrera en vigueur en septembre et sera rétroactive au 1er avril 2016.

« C'est un grand jour pour nous », m'a dit vendredi Geneviève Dion, mère d'une petite Naomie de 4 ans, atteinte d'un syndrome unique au monde. Ça va pouvoir aider beaucoup de familles au Québec. »

Vous êtes sans doute au courant du dossier, pour en avoir entendu parler dans les médias, mais avant d'aller plus loin, je vais prendre deux minutes pour rappeler les enjeux. Marie-Josée Audet, tout comme Geneviève Dion, qu'on a vue à Tout le monde en parle le 13 mars, fait partie de Parents jusqu'au bout, un regroupement de mères d'enfants gravement handicapés mis sur pied pour demander une aide financière accrue de Québec.

Prenez Marie-Josée avec qui j'ai passé 24 heures cette semaine, à Waterville, en Estrie. Elle touche autour de 4000 $ par année de Québec et d'Ottawa : la moitié en allocations familiales, l'autre moitié en supplément pour enfant handicapé.

Si elle avait gardé l'enfant handicapé de sa voisine, elle aurait eu 40 732 $. Je ne pense pas avoir besoin d'en ajouter pour vous convaincre de l'absurdité et de l'injustice de la situation qui vient d'être corrigée par le gouvernement. À compter de septembre, Mme Audet aura droit elle aussi à 40 732 $ par année : « Hein ? C'est ben fou. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer ! Quelle bonne nouvelle ! »

Car, il faut bien le dire, les familles qui s'occupent d'un enfant malade ne roulent pas sur l'or. En janvier, Marie-Josée a même dû se résoudre à faire une levée de fonds pour payer ses dettes. « J'en revenais pas de la générosité des gens », m'a-t-elle dit, entre le changement de couches de son fils Mathias et l'administration de ses médicaments. « J'ai eu des 100 $, des 200 $. J'ai même eu 600 $ d'un monsieur en Suisse que je ne connais pas. »

Son fils, né le 2 septembre 2003, avec le syndrome XLAG (lissencéphalie liée à l'X avec anomalies génitales), une maladie extrêmement rare, est très handicapé. À l'amniocentèse, elle s'est fait dire que ce serait un garçon. À la naissance, on lui a dit que c'était une fille. Mathias n'a pas de pénis ni de vagin, mais ses testicules sont à l'intérieur. C'est finalement un garçon. Il ne parle pas, ne mange pas, ne marche pas, il a de la difficulté à tenir sa tête et ne tient rien dans ses mains.

Quand il est né, les médecins ont dit qu'il allait vivre quelques semaines. Puis, peut-être un an. Puis, peut-être deux ans. « Après, ils ont arrêté de le dire. »

Faites le calcul : il a aujourd'hui 12 ans.

« Ça fait 12 ans que j'ai un bébé naissant, dit-elle. Les cinq premières années, c'est les pires. Ça prend du temps à s'adapter à cette vie-là. Mais ce n'est pas Mathias le problème, c'est le manque de ressources. Mathias, je l'aime. »

- Avoir su, auriez-vous opté pour l'avortement ?

- Je me serais faite avorter pour Robert, mon ex-conjoint. Pour moi, je ne sais pas. Aujourd'hui, je ne pourrais pas vivre sans lui... Oui... Mais c'est une personne malgré toutes ses limitations et ses carences. C'est un petit garçon extraordinaire.

Même si elle le voulait, Marie-Josée ne pourrait pas travailler à temps plein. Deux, trois jours par semaine, elle est intervenante en comportement canin à la Société protectrice des animaux (SPA) de l'Estrie, à Sherbrooke. « J'ai un employeur en or, dit-elle. Je suis choyée. Je fais mon horaire comme je veux. »

Un employeur en or, mais un petit salaire. Sur son plus récent rapport d'impôt, elle a déclaré un revenu total de 17 500 $. Heureusement, sa maison construite par son ex-conjoint ne lui coûte pas cher : 760 $ par mois avec les taxes municipales. N'empêche. Il ne reste pas grand-chose pour mettre du beurre sur son pain et sur celui de son grand garçon de 19 ans, Nicolas, une fois l'hypothèque, l'électricité et l'internet payés.

Si Marie-Josée a tenu le coup jusqu'à aujourd'hui, c'est uniquement grâce à l'héritage d'une tante, qu'elle a touché en 2011 : 150 000 $, dont il ne reste que des miettes. Le 1er juin 2014, sa voisine a organisé un événement pour amasser de l'argent et lui offrir un auvent et une balançoire. L'auvent pour protéger Mathias du soleil. La balançoire pour qu'il puisse se balancer dans son fauteuil roulant. En février, la Fondation Choix du président lui a donné un Dodge Grand Caravan adapté.

Bon, assez parlé, il est 9 h, c'est l'heure du bain.

Des soins tout au long du jour

9 h, LE BAIN

Mathias ne va pas très bien ce matin. Couché sur son matelas pneumatique, il convulse. « Il a ses yeux de poisson mort », dit sa mère, qui lui retire ses vêtements en lui parlant comme on parle à un bébé. Mathias est tout recroquevillé.

« Est-ce que ça te tente de prendre ton bain ? » lui demande-t-elle sans attendre de réponse.

Elle le prend dans ses bras comme un petit paquet et le dépose dans le bain niché dans un coin de la chambre. Un rail fixé au plafond permet de le soulever une fois le bain terminé et de le glisser jusqu'à son lit parce qu'il est trop lourd. Il fait 26 kilos. Après, c'est les soins de la bouche, des ongles, des oreilles et de la gastrostomie, ce petit trou dans son ventre pour le nourrir avec une sonde. Marie-Josée change les draps de son lit et l'habille chaudement, car il a tout le temps froid.

Mathias a eu un premier gavage et une première dose de médicaments à 5 h. Aujourd'hui, il ne va pas à l'école spécialisée Le Touret, à Sherbrooke, où il est inscrit. C'est une journée spéciale.

11 h, LA PROMENADE

Il est 11 h, c'est l'heure de la promenade.

« Tu ronfles, petit homme », lui dit Marie-Josée.

Mathias s'est rendormi. Il peut dormir une heure dans une journée, 24 dans la suivante. Ce n'est jamais pareil. Marie-Josée lui met ses orthèses aux poignets pour tenir ses mains en place, attache ses souliers et lui met ses lunettes pour qu'il puisse voir.

« Je l'appelle Robocop quand il a tous ses morceaux », lance-t-elle en le déposant dans son fauteuil roulant.

- C'est quoi son espérance de vie ?

- Il peut mourir là, me répond-elle. Tous les matins, quand je me réveille, ma question, c'est : est-ce que Mathias est encore avec moi ? Le plus vieux XLAG, avant Mathias, avait vécu deux ans.

On marche dans les rues du quartier avec Onyx, le chien de la famille qui se fait vieux.

Midi, le gavage

Marie-Josée remet Mathias au lit, lui nettoie la bouche et change sa couche. Je ne veux pas trop insister sur ce détail, mais Mathias fait des pipis de géant parce que sa vessie est paresseuse. Jusqu'à 950 ml d'urine d'un seul coup. « C'est plus qu'une bouteille de vin. C'est fou. » Vous imaginez le dégât.

Son repas : une préparation en purée à base de vrais aliments : poulet, petits pois, haricots verts, pêches et jus de canneberge. Ça glisse dans un tube relié au petit bouton dans son ventre. Le liquide va s'écouler pendant 1 heure 45.

- Tu ronfles, petit homme. Sais-tu quoi, minou ? On est prêt à se lever.

Marie-Josée lui rince de nouveau la bouche, l'habille et le sort prendre l'air.

16 h, LES MÉDICAMENTS

À 16 h, re-gavage et médicaments : Ranitidine, un antiacide pour son estomac, clobazam, sabril, topamax, kepra, vitamine B-6, vitamine D, des anti-convulsivants. Valium et Tylénol, au besoin. Ventolin, Q-var et Atrovent s'il a des problèmes respiratoires.

« Je fais une job d'infirmière et de préposée non rémunérée, dit Marie-Josée. Même une job de médecin parce que c'est moi la spécialiste du XLAG au Canada ! »

Habituellement, quand il est en forme, Marie-Josée sort Mathias du lit après son gavage et l'installe en pyjama dans son fauteuil roulant. Il reste près d'elle pendant qu'elle prépare le repas dans la cuisine. Puis, ensemble, ils écoutent la télé. « Je le prends et je m'installe avec dans le fauteuil. C'est son moment préféré. Il me fait des beaux sourires. Une vraie boule d'amour. Ça recharge mes batteries. »

Mais ce soir, il ne va pas bien. On décide de le laisser dormir.

5 h, LE RÉVEIL

Plus de 80 % du temps, Marie-Josée doit se lever la nuit. Et pas juste une fois. « Ça peut arriver qu'il convulse. Mais la plupart du temps, c'est parce qu'il s'étouffe. »

- Jamais tannée ?

- Je suis souvent fatiguée, des fois triste, mais jamais tannée, non.

La nuit ne s'est pas trop mal passée. Mais il est 5 h. Faut se lever pour le gavage. L'autobus doit passer le prendre à 7 h 30 pour le conduire à l'école. Mais à 6 h 30, Marie-Josée constate que ça ne va pas. Mathias convulse encore. « Je sens que ça ne sera pas une bonne journée, dit-elle. Pas assez malade pour le garder. Pas assez en forme pour l'envoyer à l'école avec confiance. On est dans une zone grise. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La promenade dure environ une heure. À midi, c’est déjà le temps de revenir à la maison pour le deuxième gavage de Mathias.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

«Est-ce que ça te tente de prendre ton bain?», demande Marie-Josée sans attendre de réponse. «Il adore ça», me dit-elle.