Si vous saviez que ça prend 25 minutes de jogging pour brûler un muffin aux bleuets, le mangeriez-vous ?

Au début du mois, des experts en santé publique du Royaume-Uni ont lancé une nouvelle idée pour lutter contre l'obésité et inciter les gens à bouger : ajouter des pictogrammes sur les emballages des aliments pour indiquer le nombre de minutes qu'il faut courir, pédaler ou nager pour dépenser les calories contenues dans le produit.

Un paquet de chips ? 19 minutes de course, 23 minutes de vélo, 13 minutes de natation.

Une tablette de chocolat ? 40 de course, 49 de vélo et 29 de natation.

Une canette de boisson gazeuse ? 15 de course, 23 de vélo et 13 de natation.

L'idée d'informer les gens sur les calories à brûler en faisant du sport peut sembler bonne à première vue, mais quand on y pense deux minutes, on réalise que c'est totalement absurde.

D'abord, parce que des calories, il en faut pour vivre. De 1800 à 2100 par jour, environ, selon qu'on est une femme ou un homme. Ensuite, parce que le sport, c'est prouvé, ça ne fait pas maigrir.

C'est le cas type de campagne où les spécialistes de santé publique font plus du militantisme que de la science : ils essaient de faire peur au monde au lieu d'informer les gens correctement.

« On sait que les personnes qui font de l'exercice pour brûler des calories n'y arrivent pas », confirme le Dr Dominique Garrel, endocrinologue et professeur au département de nutrition de l'Université de Montréal. « Il faut faire de l'exercice pour rester en santé, pas pour maigrir. »

L'enjeu, ce n'est donc pas les calories, mais celles qu'on prend en trop. Vous pouvez manger ce muffin aux bleuets si ça vous tente, malgré ses 265 calories, vous ne grossirez pas si vous ne faites pas d'excès. Peu importe si vous faites de l'exercice ou pas.

Dire le contraire, c'est faire preuve de malhonnêteté intellectuelle.

L'idée des pictogrammes est non seulement mauvaise parce qu'elle envoie un mauvais message, mais elle est aussi contre-productive.

1. Ça ne nous renseigne pas sur la qualité nutritionnelle des aliments. À nombre de calories égal, un gâteau est moins nourrissant qu'un sandwich.

2. Ça ne nous apprend pas à mieux manger.

3. Ça pourrait même nous inciter à mal manger.

4. C'est culpabilisant.

5. Le corps n'utilise pas les calories de la même façon d'une personne à l'autre. Ça dépend d'une foule de facteurs : le poids, le sexe, l'âge, etc. Un homme de 60 kilos brûlera moins de calories en courant 30 minutes qu'un autre qui pèse 10 kilos de plus. « Il y a trop de variables d'un sujet à l'autre, ajoute le Dr Garrel. Ce n'est pas pareil pour un homme ou une femme, ni pour une personne entraînée et une autre qui ne l'est pas, par exemple. »

Bref, si on veut s'attaquer à l'obésité, ce sont les habitudes alimentaires qui doivent changer, pas les étiquettes.

« Le Red Bull, ça ne donne pas d'énergie », rappelle Paule Bernier, présidente de l'Ordre professionnel des diététistes du Québec. « L'important, ce n'est pas de couper les calories, mais de faire les bons choix. »

Des spécialistes craignent aussi, avec raison, l'impact négatif que les pictogrammes auraient chez les personnes souffrant de désordres alimentaires, déjà obsédées par les calories et l'apparence physique.

Cela dit, le problème de l'obésité est bien réel et en augmentation dans une grande partie du monde. Au Canada, depuis 1980, le taux d'embonpoint a doublé chez les adultes et triplé chez les enfants. On occupe le cinquième rang des pays industrialisés en matière d'obésité chez les adultes, et le sixième rang chez les enfants.

Après des mois de consultation en 2014 et 2015, le comité sénatorial permanent des Affaires sociales, des sciences et de la technologie a déposé le mois dernier un rapport qui propose aussi de revoir l'étiquetage nutritionnel, mais c'est surtout pour le rendre plus facile à comprendre.

En outre, il suggère d'interdire la publicité pour des aliments et des boissons destinée aux enfants et d'imposer une taxe de 10 % sur les boissons sucrées, une mesure adoptée par quelques pays dans le monde, dont la France et le Mexique.

Parlant de boissons sucrées, des chercheurs de l'Université de la Pennsylvanie ont testé une autre idée : l'ajout d'avertissements sur les contenants similaires à ceux qu'on trouve sur les paquets de cigarettes. Résultat : 60 % des parents interrogés ont dit qu'ils ne donneraient pas de boissons contenant du sucre ajouté à leurs enfants s'ils étaient informés que ce sucre peut contribuer au diabète et à l'obésité.

Les taux de maladies chroniques liées à l'embonpoint, comme le diabète de type 2, les maladies de coeur, l'AVC et certains cancers, montent en flèche et les répercussions en matière de santé sont énormes. Sans parler des conséquences financières.

La solution n'est pas évidente parce qu'elle exige une transformation majeure des habitudes de vie. Mais un pictogramme qui ne dit pas toute la vérité sur une étiquette ne suffira pas.