D'autres sans-abri connaîtront-ils une fin tragique comme Alain Magloire, abattu de plusieurs balles par un policier le 3 février 2014 ?

La réponse est oui.

« Ce sont des situations difficiles à anticiper, dit le psychiatre du CHUM Olivier Farmer. On ne peut pas prévoir comment les policiers vont réagir en situation de crise. »

Le 7 juin 2011, Mario Hamel, 40 ans, a été tué par un policier sur lequel il fonçait avec son couteau.

Le 6 janvier 2012, Farshad Mohammadi, 34 ans, est tombé sous les balles de la police dans le métro de Montréal, armé d'un Exacto.

Tous deux étaient aux prises avec des problèmes de santé mentale.

Alors, une fois qu'on a dit ça, on fait quoi ?

Déposé avant-hier, le rapport du coroner Luc Malouin sur la mort d'Alain Magloire avance des pistes de solution pour réduire le risque. Mais la clé, c'est l'amélioration des soins de santé pour les sans-abri atteints de maladie mentale. Bien sûr, il faut aussi mieux former les policiers et augmenter le nombre de pistolets électriques. Mais le plus important, c'est le traitement des malades.

Le service de psychiatrie du CHUM, dirigé par le Dr Paul Lespérance, a mis sur pied un projet (PRISM) qui donne de très bons résultats et qui ne coûte vraiment pas cher. En deux ans, le PRISM (Projet réaffiliation en itinérance et santé mentale) a permis de sortir 150 itinérants de la rue. Coût par année par patient : 3000 $.

Je ne suis pas une spécialiste de la santé mentale, mais je sais que 3000 $, ce n'est vraiment pas grand-chose pour remettre un être humain sur pied. Sans compter le fait que ne rien faire et de laisser ces personnes vulnérables à elles-mêmes coûte une petite fortune. Le coût social de l'itinérance - urgences, prison, cour, etc. - atteint 50 000 $ par année par personne.

L'idée du PRISM est simple : intervenir auprès des sans-abri dans leur milieu, les soigner et leur trouver un logement.

Ce projet a vu le jour en novembre 2013 à la Mission Old Brewery. Deux psychiatres du CHUM, dont Olivier Farmer qui en est le directeur, sont sur place deux jours par semaine. Patrick Girard, travailleur social, assure la coordination. Il travaille main dans la main avec un intervenant du refuge et une infirmière.

Quelques bureaux servent à la consultation et un dortoir peut accueillir 19 hommes. Depuis peu, le Pavillon pour femmes Patricia Mackenzie offre 10 lits.

On y propose de l'aide, des médicaments, trois repas par jour et un séjour de quatre à six semaines. Quelque 140 patients sont traités par année et le taux de succès est de 75 %. « C'est extraordinaire ! », s'exclame Olivier Farmer.

« Au fond, ce n'est pas sorcier, ajoute le Dr Lespérance. Le côté inventif, ce n'est pas le traitement, c'est d'être proche des patients en temps réel. Si le patient est prêt à recevoir des soins aujourd'hui et que tu arrives trois jours plus tard, tu auras peut-être perdu la fenêtre d'opportunité. C'est ça, l'idée, et ça marche. »

Prochaine étape : multiplier les PRISM un peu partout. L'Accueil Bonneau, La rue des Femmes, la Mission Bon Accueil, le Projet autochtone ont manifesté leur intérêt et proposé d'offrir des lits et des ressources. Mais il serait utopique de penser que le PRISM est la seule solution. Les sans-abri ne fréquentent pas tous des refuges. Ils sont souvent dans la rue, au centre-ville.

Le SII (Suivi intensif itinérance), mis en place l'an dernier, permet à une deuxième équipe de traiter des sans-abri qui souffrent de problèmes mentaux plus sévères. On estime qu'il y en a jusqu'à 3000 par jour à Montréal et que près de la moitié ont des troubles sévères.

« Ce serait inimaginable qu'on n'ait pas de service de cancérologie au Québec. Les problèmes de santé mentale, c'est comme le cancer. Ce n'est pas vrai qu'il n'y a rien à faire. Ça se traite », dit le Dr Farmer. Mais justement, le problème, c'est qu'on ne traite pas la santé mentale comme la santé physique. On en parle moins, on y investit moins d'argent et la pression de l'opinion publique n'est pas là pour faire bouger le gouvernement. Le cancer, ça émeut plus que la folie.

Cette indifférence, qui s'exprime envers la santé mentale, a des conséquences encore plus dramatiques dans le cas des personnes plus vulnérables que sont les sans-abri.

Il y aura sans doute d'autres Alain Magloire, mais avec des investissements somme toute modestes, on pourrait sortir de la rue un plus grand nombre d'itinérants. Ce serait évidemment un gain pour eux, mais aussi pour l'ensemble de la population confrontée à ce problème social. Cela changerait le visage de Montréal.