Difficile à croire, mais vrai: Gilles Deguire, l'ex-maire de Montréal-Nord, va toucher une indemnité de départ de 146 000 $, même s'il a quitté ses fonctions parce qu'il faisait l'objet d'une enquête criminelle.

Le 20 janvier, 14 jours après sa démission, il a été accusé d'agression sexuelle et d'attouchements sexuels sur un enfant de moins de 16 ans. M. Deguire a 66 ans.

N'aurait-on pas dû attendre l'issue du procès avant de lui verser une indemnité de départ ? Comment se fait-il qu'il puisse encaisser une telle somme? D'autant qu'il n'a pas quitté ses fonctions pour des motifs de santé ou familiaux, mais parce qu'il savait qu'il était visé par une enquête criminelle.

«Il a bien fait de démissionner», a dit Denis Coderre au sujet de l'ex-maire de Montréal-Nord.

Je sais très bien que la Ville de Montréal a agi conformément à la Loi sur le traitement des élus municipaux. N'empêche, c'est un non-sens.

Dans les circonstances, par décence élémentaire, M. Deguire aurait dû refuser son indemnité de départ.

Mais il ne l'a pas fait. Il a plutôt confirmé par écrit son intention de recevoir l'allocation de départ (27 817,53$) et l'allocation de transition (118 422,24$).

En 2014, la Ville de Montréal a demandé au ministère des Affaires municipales d'apporter des modifications législatives pour empêcher l'octroi d'une allocation de transition lorsqu'un élu est déclaré coupable d'un acte punissable d'au moins deux ans d'emprisonnement. Mais Québec n'a jamais donné suite à cette demande, selon Gonzalo Nunez, du service des communications de la Ville de Montréal.

Avec ces modifications, M. Deguire aurait tout de même pu toucher son indemnité puisqu'il n'a pas été condamné.

Dans le passé, d'autres politiciens, accusés au criminel, ont empoché de généreuses allocations de départ. On n'a qu'à penser à Gilles Vaillancourt (247 000$), Michael Applebaum (268 000$) et Richard Marcotte (160 000$). Les causes sont devant les tribunaux et aucun des trois n'a été déclaré coupable.

En décembre 2013, à la suite de l'indemnité versée à l'ex-maire Vaillancourt, l'administration du maire Marc Demers avait fait savoir qu'elle préparait de nouvelles règles pour interdire le versement d'allocations de transition aux élus qui quittaient leurs fonctions en cours de mandat, sauf pour des raisons de maladie. La mesure s'appliquait aussi aux élus qui faisaient l'objet d'accusations criminelles.

Qu'en est-il deux ans plus tard? Rien.

Pendant ce temps, Québec s'est doté d'une loi pour mettre fin aux indemnités de départ. Ce qui arrive à la Ville de Montréal ne pourrait pas se produire à l'Assemblée nationale. Les députés qui démissionnent en cours de mandat sans raison valable ne peuvent pas toucher leur «prime de départ» depuis l'adoption, le 3 décembre dernier, du projet de loi 78.

«Il y aura une allocation de transition uniquement pour ceux qui quittent durant leur mandat en raison de conditions de santé ou familiales», a confirmé le leader parlementaire du gouvernement, Jean-Marc Fournier.

À quand une loi semblable à Montréal ? Le gouvernement doit revoir les règles comme il l'a fait à l'Assemblée nationale. Et en attendant, il doit trouver un moyen de bloquer l'indemnité de M. Deguire tant que son innocence n'aura pas été établie.

Je vous rappelle qu'avant de faire le saut en politique municipale, M. Deguire avait été policier au SPVM pendant 30 ans, de 1969 à 1999. Il a travaillé durant six ans au sein de Police-Jeunesse de Montréal-Nord à titre d'enquêteur chargé du dossier des agressions sexuelles. Il a été par la suite attaché politique au bureau de l'ancienne ministre libérale Line Beauchamp, de 1999 à 2009.

Lors du lancement de sa candidature à la mairie de Montréal-Nord, en août 2009, il avait dit vouloir faire campagne sur les thèmes liés aux familles et aux jeunes.

Les actes qui lui sont reprochés se seraient déroulés entre le 1er décembre 2013 et le 23 octobre 2015, à Montréal et ailleurs au Québec. Il est attendu au palais de justice de Montréal le 23 mars.

Renoncera-t-il à son indemnité d'ici là ? S'il ne le fait pas, Québec doit agir. D'abord, en changeant la loi le plus rapidement possible. Ensuite, en faisant preuve d'imagination pour priver le maire déchu de son indemnité.

De généreuses allocations

FRANK ZAMPINO: 168 000$

L'ex-numéro 2 de la Ville de Montréal, Frank Zampino, accusé de fraude, de complot pour fraude et d'abus de confiance, qui a démissionné en mai 2008, n'a pas quitté son poste les mains vides. Ses 22 ans en politique municipale lui ont valu des allocations de départ et de transition de 167 963$.

GILLES VAILLANCOURT: 247 000$

L'ex-maire Gilles Vaillancourt a eu droit à 247 000$ au moment de quitter son poste en pleine tourmente, le 9 novembre 2012. Né en janvier 1941, il est accusé de gangstérisme, complot, fraude et abus de confiance.

RICHARD MARCOTTE: 160 000$

L'ancien maire de Mascouche Richard Marcotte, accusé de fraude, de complot et d'abus de confiance dans le cadre de l'opération Gravier, a remis sa démission le 30 novembre 2012. Il a touché une indemnité de départ de 160 000$.

ALEXANDRE DUPLESSIS: 170 000$

L'ex-maire par intérim de Laval, Alexandre Duplessis, a reçu 170 000$ en indemnité de départ après avoir quitté ses fonctions en juin 2013 en plein scandale sexuel. Sa crédibilité avait été entachée un mois plus tôt, lorsqu'un témoin à la commission Charbonneau avait révélé que la quasi-totalité des élus de Laval avaient servi de prête-noms pour financer l'ancien parti de Gilles Vaillancourt avec de l'argent sale.

MICHAEL APPLEBAUM: 268 000$

L'ancien maire par intérim de Montréal Michael Applebaum a démissionné en juillet 2013 après s'être vu imposer 14 chefs d'accusation, dont complot, fraude, corruption et bris de confiance impliquant deux projets immobiliers dans le district qu'il représentait de 2002 à 2012. Il a reçu 267 923,90 $ en indemnité de départ.

photo Patrick SANFACON La Presse-MONTREAL- 797 471-Le maire de Montreal-nord Gilles Deguire a demissionne de son poste aijourd hui. -30-07/01/2016, 7 janvier 2016, ACTUALITES

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Frank Zampino