Votre enfant devient handicapé. Vos parents perdent doucement la tête. Ce genre de situation est déjà bien assez triste. Il me semble que les proches ne devraient pas avoir à se battre pour faire homologuer le mandat de protection qui leur permettra de prendre soin d’eux.

Présentement, cette opération est un véritable parcours du combattant. Au public, c’est l’enfer. Au privé, ça coûte cher. Et dans les deux cas, les délais sont trop longs. Or, la vaste réforme du curateur public, qui est présentement en commission parlementaire à Québec, pourrait compliquer encore plus les démarches.

Pour vous donner une idée du processus, je vous raconte l’histoire de Jean-Pierre Bonneau. Il était loin de se douter de ce qui l’attendait quand il s’est rendu à la banque pour faire une transaction au nom de sa mère, qui lui avait confié une procuration.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

« Malheureusement, le projet de loi 18 risque de compliquer encore plus le processus d’homologation », écrit Stéphanie Grammond.

Sympathique, la préposée a eu la gentillesse de prendre des nouvelles de sa mère. Il lui a répondu naïvement que le corps allait bien, mais que l’esprit n’y était plus.

« J’ai senti à l’instant que je venais de mettre le pied sur une mine », relate-t-il. Il faut savoir qu’une procuration permet à un individu d’agir au nom de quelqu’un d’autre. Mais ce document devient caduc dès que la personne qui l’a signé n’est plus apte à le révoquer. À partir de ce moment, il faut un mandat de protection (anciennement un mandat en cas d’inaptitude) pour pouvoir agir à sa place.

Pas de problème, s’est dit M. Bonneau, qui était aussi désigné pour prendre soin de sa mère dans son mandat de protection. Mais pour le faire homologuer, il faut être patient, très patient.

Et dans l’intervalle, les mandataires coincés ne peuvent faire aucune transaction. Quel cauchemar !

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L’homologation d’un mandat de protection se fait en trois étapes. D’abord, un médecin doit poser un diagnostic. M. Bonneau n’a pas eu trop de mal à obtenir une consultation avec celui de la résidence où demeure sa mère.

Mais ça n’a pas été de la tarte pour dénicher la travailleuse sociale qui doit examiner le contexte familial et formuler une opinion. Normalement, ce service est fourni gratuitement par les CLSC. Mais dans la pratique, la liste d’attente est très longue. Au lieu d’attendre un an, M. Bonneau est donc allé du côté privé, où il a déboursé 750 $.

Ironiquement, ce sont souvent les mêmes travailleuses sociales du CLSC qui travaillent maintenant une ou deux journées par semaine à homologuer des mandats du côté privé, ce qui accentue la pénurie du côté public.

Mais le privé n’est pas parfait non plus. Pour M. Bonneau, cette étape qui devait prendre deux semaines a finalement pris deux mois, à cause de toutes sortes d’obstacles (courrier expédié à la mauvaise adresse, personnel en vacances, maladie, etc.).

Et ça n’a pas été simple non plus chez le notaire, qui doit rencontrer à nouveau le patient et sa famille et préparer les documents qui doivent être approuvés par le tribunal. Cette étape a coûté 2200 $ à M. Bonneau.

Que font les familles qui n’ont pas cet argent ? « Les gens ont accès à l’aide juridique. Mais le dossier embarque sur une pile. Ça peut prendre un an », répond le notaire Laurent Fréchette.

Au total, les démarches de M. Bonneau se sont étirées sur six mois et ont coûté la rondelette somme de 3100 $.

L’homme est bien conscient que le système doit empêcher des gens malintentionnés de prendre le contrôle des finances d’un individu en le faisant déclarer injustement inapte. « Mais là, le pendule est rendu beaucoup trop loin de l’autre bord, dit-il. Ça dépasse l’entendement. Il faut apporter des correctifs. »

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Malheureusement, le projet de loi 18 risque de compliquer encore plus le processus d’homologation.

Québec veut donner plus de flexibilité aux tutelles, qui pourront désormais être modulées afin de permettre aux gens d’exercer leurs droits jusqu’au bout de leurs capacités.

Fort bien. Mais j’ai bien peur que cela donne encore plus de travail aux travailleuses sociales qui devront creuser davantage pour évaluer les capacités de la personne inapte et de son entourage.

Déjà, elles ont de la broue dans le toupet ! Et avec le vieillissement de la population, le nombre de cas de démence va exploser, ce qui augmentera la quantité de mandats de protection à faire homologuer. « On s’en va vers un mur », prévient Me Fréchette.

Ce n’est pas d’hier que l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ) déplore les « coupures drastiques » en travail social dans le réseau public.

« La demande est tellement grande. Malheureusement, il n’y a pas suffisamment de ressources pour répondre aux besoins », m’a répété sa présidente, Guylaine Ouimet.

C’est bien beau d’améliorer les lois, mais si les citoyens ont toute la misère du monde à la mettre en pratique, on n’est pas tellement avancé.

Alors, oui, il faut plus de ressources. Gratuites. Accessibles dans des délais raisonnables.

S’il manque de travailleuses sociales, pourquoi ne pas permettre à d’autres spécialistes, comme des psychologues, de faire le rapport psychosocial qui est un acte réservé aux travailleuses sociales ?

Pourquoi ne pas donner aux notaires la permission d’homologuer eux-mêmes les mandats, plutôt qu’exiger un sceau des tribunaux qui sont déjà assez engorgés comme ça avec des cas plus litigieux ?

En donnant une formation et une accréditation spéciale à ces professionnels, on s’assurerait qu’ils ont toutes les compétences voulues pour accomplir les tâches.

Allez, laissons tomber le corporatisme.