Autant les milléniaux ont une chance inouïe d’entamer leur carrière en pleine pénurie de main-d’œuvre, autant ils sont à plaindre d’avoir à acheter leur première maison alors que les prix de l’immobilier sont au plafond.

Que voulez-vous, en finances personnelles, on ne peut pas passer à go partout.

Mais à la veille des élections, Ottawa a cru bon d’instaurer un « Incitatif à l’achat d’une première propriété » afin d’aider quelque 100 000 jeunes familles à faire leur nid.

Dévoilé lors du dernier budget, le programme, dont les détails ont été annoncés hier, sera doté d’une enveloppe de 1,25 milliard de dollars sur trois ans. Il verra le jour le 2 septembre, juste à temps pour le déclenchement de la campagne électorale. Tiens donc, quelle coïncidence ! Les premières transactions seront conclues le 1er novembre.

Tant mieux, tant mieux. Mais cette initiative ressemble drôlement à un aveu que le prix des maisons est gonflé à l’hélium au Canada, comme l’a souvent rappelé le Fonds monétaire international. L’accès à la propriété est tellement limité que les jeunes doivent rester sur le paillasson.

Ironiquement, le coup de pouce d’Ottawa risque de faire grimper les prix encore davantage. Cela donnera du fil à retordre aux acheteurs qui n’auront pas droit à l’incitatif, comme des retraités qui veulent une maison plus petite ou des travailleurs qui déménagent en raison de leur emploi. Ceux-ci ont eu le temps de profiter de la hausse, me dites-vous. C’est vrai.

Mais fallait-il vraiment jeter de l’huile sur le marché immobilier ? Je comprends que l’immobilier est morose à Vancouver et à Toronto. Mais dans le Grand Montréal, le marché roule à plein régime. Les prix ont grimpé de 6,3 % en mai dernier, selon l’Association canadienne de l’immeuble.

Fallait-il encourager les ménages à s’endetter encore plus ? Au Canada, l’endettement n’a jamais pesé aussi lourd, comme le soulignaient la semaine dernière les économistes de la Banque Nationale. Au premier trimestre, les ménages ont consacré 14,9 % de leurs revenus disponibles au remboursement de leurs dettes (intérêt et capital), un sommet historique.

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Mais quand on regarde sous le capot, le nouvel incitatif d’Ottawa aura un impact relativement limité sur l’ensemble du marché.

D’abord, son enveloppe de 416 millions de dollars par année ne représente qu’une toute petite fraction du marché des prêts hypothécaires assurés, qui s’élève à 60 milliards de dollars.

Ensuite, le cadeau d’Ottawa ne sera pas accessible à tous. Il est réservé à la classe moyenne « et ceux qui travaillent fort pour en faire partie », selon l’expression favorite des libéraux. Cela signifie les ménages qui ont des revenus combinés inférieurs à 120 000 $.

Ottawa leur accordera un prêt participatif allant jusqu’à 5 % d’une maison existante et jusqu’à 10 % d’une maison neuve, un pourcentage plus élevé qui a pour but de stimuler la construction de logements.

Les emprunteurs n’auront rien à rembourser à l’État, ni capital ni intérêts, tant et aussi longtemps qu’ils auront la maison. Ce n’est qu’à la revente ou après 25 ans qu’ils devront rembourser l’emprunt initial, avec un gain correspondant au pourcentage d’appréciation de la maison.

Par exemple, si Ottawa a prêté 10 000 $ à une famille et que la valeur de sa maison a doublé, elle devra rembourser 20 000 $ à l’État lors de la revente. Mais à l’inverse, si la maison s’est dépréciée de 10 %, le ménage n’aura que 9000 $ à remettre.

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L’incitatif ne permettra pas aux premiers acheteurs de viser plus haut que leurs moyens, car la valeur du prêt (en incluant la prime d’assurance-prêt qui sera obligatoire) ne doit pas dépasser quatre fois les revenus du ménage.

En suivant cette règle, une famille qui gagne 120 000 $ pourrait acheter une maison valant jusqu’à 565 000 $, en considérant une mise de fonds de 15 %. En théorie, la même famille pourrait aller encore plus loin en achetant une maison sans réclamer l’incitatif. Mais qui veut se mettre la corde au cou de la sorte ? Personne !

En fait, l’objectif de l’incitatif d’Ottawa est de réduire les mensualités des nouveaux acheteurs. Par exemple, une famille qui achète une maison de 300 000 $ avec une mise de fonds de 5 %, soit 15 000 $, économiserait environ 75 $ par mois, soit 900 $ par an, calcule Denis Doucet, porte-parole de Multi-Prêts. Cette bouffée d’air ne fera pas de tort aux jeunes familles qui ont une foule de dépenses.

Mais à la longue, ce sera bonnet blanc et blanc bonnet.

Si leur maison s’apprécie de 2 % par année, le gain qu’elles devront remettre au gouvernement après 25 ans équivaudra aux intérêts qu’elles ont économisés durant toutes ces années, estime M. Doucet.

À la fin, la famille n’aura pas plus d’argent dans ses poches. Mais elle aura bénéficié d’une plus grande marge de manœuvre financière pendant toute la durée du prêt.