À cause de règles archaïques que Québec tarde à moderniser, Diane Latour est en train de vider les maigres épargnes d’une amie vivant en centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) dont elle gère les finances.

Ses revenus de 1960 $ par mois sont à peine suffisants pour payer la contribution maximale de 1910 $ exigée par l’établissement. Cela ne laisse que 50 $ pour toutes ses dépenses personnelles. Rien d’extravagant, vous imaginez bien. La coiffure, le podiatre, quelques petits vêtements à l’occasion… Mais pour payer la note, Mme Latour est forcée de puiser dans le Fonds enregistré de revenus de retraite (FERR) de son amie, qui ne contient plus que 8000 $.

Pour le gouvernement, c’est déjà trop. Trop pour avoir droit à une exemption qui réduirait sa contribution et l’aiderait à payer ses dépenses personnelles.

« Ça me fait de la peine d’utiliser le peu qu’il lui reste. J’ai anticipé les grosses dépenses, pour ne pas rester sans le sou », explique Mme Latour qui a pris soin de payer les arrangements funéraires préalables et d’acheter une nouvelle paire de lunettes à sa protégée. « Mais ça laisse très peu de marge de manœuvre si jamais des dépenses plus importantes survenaient », s’inquiète la dame qui trouve injuste le calcul de la contribution que les usagers doivent verser aux CHSLD.

Elle a bien raison.

Tout le monde sait depuis très longtemps que les règles devraient être modernisées. Déjà, en 2014, le Protecteur du citoyen dénonçait le mode de calcul de la contribution qui force les personnes mariées à contribuer pour leur conjoint hébergé en CHSLD. « Certains intervenants ont conseillé le “divorce en blanc” à des couples mariés de longue date afin de bénéficier d’exemption tarifaire. Cela est inadmissible sur le plan humain », déplorait le rapport.

Mais les ministres passent et le problème reste entier.

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En fait, la contribution maximale au CHSLD se chiffre à 1910 $ par mois pour une chambre à un lit, 1596 $ pour une chambre à deux lits et 1189 $ pour une chambre à trois lits.

L’usager doit verser cette somme tant et aussi longtemps que son conjoint et lui possèdent des actifs liquides supérieurs à 2500 $. On parle ici de comptes de banque, de placements, REER, FERR, CELI, alouette.

Ce seuil provient d’un vieux règlement qui date de 1983. Si on indexait ce montant à l’inflation, il serait de presque 6000 $ aujourd’hui, ce qui reste extrêmement faible.

« C’est injuste. Ce que ça produit, c’est que le conjoint qui n’est pas hébergé est conduit tout droit vers la pauvreté parce qu’on lui arrache tout. » — Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades

Les couples qui possèdent une résidence de plus de 40 000 $ et d’autres biens de plus de 1500 $ sont aussi pénalisés dans le calcul de la contribution au CHSLD. Des seuils qui frisent le ridicule.

« Ça ne marche pas ! Personne n’a une maison de 40 000 $ aujourd’hui », s’exclame Judith Gagnon, présidente de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR).

Même si les seuils d’exemption sont gelés, la contribution aux CHSLD, elle, est indexée chaque année.

Cela fait en sorte qu’un nombre croissant d’usagers sont obligés de payer la facture au complet. Sur les quelque 39 000 personnes hébergées en CHSLD, 72 % des usagers paient la contribution maximale en 2019, alors que cette proportion n’était que de 63 % il y a 10 ans.

Pas étonnant que les usagers soient de plus en plus nombreux à crier à l’aide. Le nombre de demandes d’exonération a grimpé de 48 % depuis 10 ans, passant de 4686 demandes en 2010 à 6930 en 2019.

Mais cela ne veut pas dire qu’ils ont obtenu une réduction de leur facture.

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Certains couples l’ignorent, mais ils peuvent améliorer leur sort en s’appuyant sur les règles de la « séparation involontaire ».

Cette mesure fiscale permet aux couples dont l’un des conjoints doit être hébergé en CHSLD d’être considérés comme des célibataires. Cela permet de bonifier certains crédits d’impôt et de recevoir davantage de supplément de revenu garanti (SRG).

Mais cela n’empêche pas que l’encadrement de la contribution au CHSLD doit être modernisé. Le Conseil pour la protection des malades a d’ailleurs soumis un projet de loi à ce sujet à la ministre responsable des aînés et des proches aidants, Marguerite Blais.

L’objectif serait de protéger le patrimoine familial du couple, c’est-à-dire son automobile ainsi que la valeur de sa propriété, en se fondant sur l’évaluation moyenne d’une maison au Québec qui est de 255 000 $. « Ensuite, on évaluerait ce dont dispose celui qui doit être hébergé, pour éviter à son conjoint de se faire littéralement drainer le peu de ressources qui lui restent », explique M. Brunet.

La nouvelle ministre Blais sera-t-elle celle qui donnera la cure de jouvence tant attendue à ces règles désuètes ?