Gerald Cotten avait tout prévu dans les moindres détails. Deux semaines avant sa mort, le patron de la plateforme de négociation de cryptomonnaies QuadrigaCX avait fait son testament. Si la coïncidence vous étonne, attendez de lire la suite.

Dans ses dernières volontés, M. Cotten avait nommé sa femme Jennifer Robertson à titre d'exécutrice testamentaire, comme le rapporte le Globe and Mail.

Dans l'éventualité où celle-ci ne lui aurait pas survécu, il avait même organisé la distribution de ses actifs, dont un avion et des résidences. Il était allé jusqu'à prévoir des fonds de 100 000 $ afin qu'on prenne soin de ses deux chihuahuas nommés Nitro et Gully.

Vraiment, M. Cotten avait tout prévu... sauf léguer le mot de passe donnant accès aux 190 millions de dollars appartenant à ses 92 000 investisseurs.

Ben quoi ? On répète sans cesse qu'il ne faut écrire son mot de passe nulle part ni le confier à personne !

Blague à part, il est plutôt désolant que M. Cotten ait songé à protéger ses deux petits chiens, mais pas ses clients qui s'arrachent maintenant les cheveux pour récupérer leur monnaie virtuelle : bitcoin, Litecoin, Ethereum, etc.

Leur argent est perdu dans les limbes numériques depuis la mort de l'homme d'affaires de 30 ans, qui a succombé à la maladie de Crohn, le 9 décembre dernier, alors qu'il voyageait en Inde pour y ouvrir un orphelinat.

Mais est-il vraiment mort? Quelle valeur accorder à un certificat de décès délivré en Inde? Le corps a-t-il été rapatrié? A-t-il été incinéré? Les questions se bousculent sur le web, où les internautes doutent de la mort inattendue de M. Cotten.

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Avec toutes ces spéculations, impossible de ne pas faire le parallèle avec le scandale Bre-X qui a fait la manchette financière en 1997 et même inspiré le film Gold sorti en 2016.

Sexe, crime, sang... cette histoire d'escrocs avait tout d'un scénario d'Hollywood. Je vous rappelle que la société de Calgary avait supposément découvert un gisement d'or phénoménal en Indonésie. Son action avait explosé à la Bourse. Au sommet, l'entreprise valait 6 milliards de dollars.

Mais les investisseurs ont tout perdu quand on a découvert que les carottes avaient été salées, c'est-à-dire qu'on avait saupoudré de l'or dans les échantillons prélevés.

Bref, la découverte du siècle n'était en réalité qu'une gigantesque fraude.

Pour ajouter au drame, le géologue de Bre-X, Michael de Guzman, s'est ensuite suicidé en sautant d'un hélicoptère en pleine jungle de Bornéo. À moins qu'on l'ait poussé, comme certains le prétendent.

Un corps a bel et bien été retrouvé, mais certains doutent encore de la mort du géologue qu'ils imaginent coulant des jours heureux dans la même île déserte qu'Elvis Presley.

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Mais revenons à Quadriga, qui est maintenant au bord de la faillite.

La mort de son patron vient de lancer une vraie chasse au trésor des temps modernes. Si le capitaine Haddock et son ami Tintin cherchaient au milieu de l'océan le trésor de Rackham le Rouge, les clients de Quadriga, eux, scrutent le cyberespace pour retrouver le magot perdu.

Mais ils n'ont pas la clé du coffre-fort. Ni la carte pour y accéder.

C'est que M. Cotten était le seul dirigeant de la plateforme de négociation. Il gérait tout à partir de son ordinateur portable, la plupart du temps à partir de sa maison de Fall River, en Nouvelle-Écosse.

Pour des raisons de sécurité, il conservait la majeure partie de l'argent dans des «cold wallets», des portefeuilles externes qui se prêtent moins aux attaques de pirates informatiques.

Il faisait tous les transferts lui-même, manuellement. Et il a emporté les mots de passe avec lui dans sa tombe.

«L'ordinateur à partir duquel Gerry menait ses affaires est crypté et je ne connais pas le mot de passe ou la clé de récupération», a confié sa veuve dans une déclaration sous serment déposée devant les tribunaux de la Nouvelle-Écosse.

Elle a cherché partout, embauché un crack de l'informatique. Mais pour l'instant, les démarches ont été peu concluantes.

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Qu'on retrouve l'argent ou non, cette incroyable histoire démontre la faiblesse des rouages des cryptomonnaies, qui n'en sont pas à leurs premiers ratés. L'an dernier, par exemple, Coincheck a admis s'être fait voler plus d'un demi-milliard de dollars d'actifs virtuels.

Déjà que l'univers des cryptomonnaies est ultra-spéculatif, comme en témoigne la chute de 80 % de la valeur du bitcoin depuis son sommet historique.

Les investisseurs réalisent maintenant les risques de plonger dans un univers qui échappe pratiquement à toute réglementation et à toute surveillance.

Les clients de Quadriga découvrent avec stupeur qu'un seul individu était la clé de voûte pour accéder aux millions qu'ils avaient confiés à l'entreprise. Cette faille de sécurité évidente aurait pu mettre M. Cotten à risque d'enlèvement et de chantage.

On constate aujourd'hui que l'entreprise entière reposait sur ses épaules. Imaginez, l'argent des investisseurs transitait même par les comptes personnels du patron, puisque les banques refusaient d'ouvrir un compte bancaire au nom d'une société de cryptomonnaie.

Ça donne des frissons.

Le plus triste, c'est que la plateforme a continué d'accepter les dépôts pendant plusieurs semaines après la mort de M. Cotten. On devait pourtant savoir que cet argent se perdrait automatiquement dans le cyberespace.

Quel gâchis!