En voyage en Croatie, cet été, vous ne pouvez pas savoir le nombre de restaurants qui ont refusé notre carte de crédit à la fin du repas. «Désolé, on ne veut pas payer les frais de plus de 2% imposés par les émetteurs des cartes.»

Même dans un hôtel réservé sur l'internet, la propriétaire a exigé que l'on paie comptant, nous forçant à rouler plusieurs kilomètres pour retirer des billets au guichet automatique.

Franchement, il est plutôt déplaisant d'avoir à trimbaler des sommes importantes dans ses valises. Le plastique, c'est bien plus pratique. Mais de là à bannir l'argent comptant au complet, il y a un pas que je ne suis pas prête à faire.

Pourtant, certains commerçants, ici au Canada, ont décidé récemment de ne plus accepter les billets de banque. C'est le cas de la chaîne torontoise iQ Food et des restaurants de salades Mad Radish que le cofondateur des Thés DavidsTea a ouverts à Ottawa.

Nouvelle tendance? Peut-être... Mais rassurez-vous, l'argent comptant est loin d'être mort. La valeur des pièces de monnaie et des billets en circulation avoisine 80 milliards de dollars au pays. En pourcentage du PIB (3,8%), l'encours total des billets de banque est même en légère hausse depuis une dizaine d'années, rapporte Hendrix Vachon, économiste senior chez Desjardins.

Mais c'est surtout à cause de l'augmentation du nombre de billets de 100 $ qui sont davantage utilisés comme mode d'épargne par ceux qui préfèrent rester dans l'ombre...

En réalité, l'argent comptant (et même le débit) perd du terrain par rapport au crédit, surtout pour les transactions de plus faible valeur. Le nombre de transactions en argent comptant a fondu de 54% en 2009 à 44% en 2013, selon une enquête de la Banque du Canada.

Et ce n'est probablement qu'un début, car l'argent numérique devient encore plus populaire avec l'implantation du paiement sans contact et des portefeuilles virtuels, comme Apple Pay, qui permettent de payer ses achats simplement en plaçant son pouce sur son téléphone intelligent.

Je conviens que ces nouveaux modes de paiement peuvent être fort commodes pour les consommateurs. Mais il y a aussi des effets secondaires à l'abandon de l'argent comptant.

D'abord, les transactions par cartes de crédit coûtent cher. Les commerçants doivent verser des frais interchange qui peuvent représenter jusqu'à 3% du montant de la transaction pour les cartes Platine ou Infinite, celles qui ont les programmes de récompenses les plus généreux.

Les détaillants n'ont d'autre choix que de refiler ces frais aux consommateurs en augmentant leurs prix de vente. C'est donc l'ensemble des clients, y compris ceux qui paient comptant parce qu'ils n'ont pas les moyens d'avoir une carte de crédit prestigieuse, qui subventionnent les généreuses récompenses offertes aux clients plus fortunés. Comme une péréquation à l'envers!

Ensuite, ces fameux programmes de récompenses encouragent les consommateurs à payer le maximum de dépenses à crédit, avec les risques de dérapage que cela comporte. En effet, près de la moitié (44%) des détenteurs de cartes de crédit ne paient pas leur solde au complet à la fin du mois. Ils se retrouvent ainsi à payer des intérêts de 20 à 30 % sur tous leurs achats. Ruineux!

Traitez-moi de vieux jeu si vous voulez, mais je crois qu'il est plus facile pour les consommateurs moins disciplinés d'éviter le piège du surendettement en payant avec de l'argent comptant plutôt qu'avec de l'argent virtuel.

Je pense qu'il est plus simple de gérer de l'argent de poche (par exemple : 50 $ qu'on retire chaque semaine pour les menues dépenses) que de garder le compte d'une multitude de petites transactions courantes qu'on porte à sa carte de crédit.

Même si les nouveaux modes de paiement sont utiles, l'argent comptant a donc encore sa place dans nos portefeuilles, surtout pour les jeunes et les personnes plus vulnérables qui n'ont pas tous un compte bancaire et une carte de crédit. Les statistiques démontrent justement que les personnes à faibles revenus et celles qui sont moins scolarisées ont davantage recours à l'argent comptant.

Les commerçants diront que l'argent comptant réduit les coûts de manutention et limite les risques d'être victimes de contrefaçon. D'accord. Mais les consommateurs, eux, ne sont pas à l'abri de la fraude.

Il est vrai que les consommateurs sont protégés par la politique zéro responsabilité, tant pour la carte de débit que de crédit. Mais ceux qui sont victimes d'un vol d'identité sont quand même pris avec les conséquences pour de longues années. À eux de faire des appels, d'annuler les cartes, de changer des mots de passe.

C'est sans compter le risque d'être à court de liquidités en cas de panne informatique. Un peu d'argent comptant dans son portefeuille, ça ne fait jamais de tort à personne.

En moyenne, les Canadiens conservent 84 $ dans leur portefeuille. Mais la somme est plus faible (61 $) chez les jeunes. En tout cas, je peux vous dire que les miens ont souvent les poches vides! Et ils sont toujours contents si je leur refile un p'tit 20 $ comptant.

Refuser l'argent comptant : légal?

Il revient au vendeur de déterminer quels modes de paiement il accepte, explique la Banque du Canada. Aucune loi n'oblige qui que ce soit à accepter des billets de banque ou tout autre mode de paiement pour régler une transaction commerciale. La méthode de paiement utilisée dans toute transaction (espèces, chèque, carte de débit ou carte de crédit, par exemple) constitue une entente privée entre acheteur et vendeur. Par ailleurs, la loi prévoit que les commerçants ont spécifiquement le droit de refuser les clients qui débarquent à la caisse enregistreuse avec leurs rouleaux de monnaie ou, pire encore, avec un sac rempli de pièces non roulées. Par exemple, un commerçant peut refuser de recevoir plus de 5 $ en pièces de 5 cents, ce qui veut dire un maximum de 100 pièces.

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COMBIEN POUVEZ-VOUS PAYER EN MONNAIE?

Pièces de 2 dollars : 40 $

Pièces de 1 dollar : 25 $

Pièces de 25 cents : 10 $

Pièces de 10 cents : 10 $

Pièces de 5 cents : 5 $