Le salaire minimum qui grimpe de 32% en 18 mois à peine. Un projet-pilote pour tester un concept avant-gardiste de revenu minimum garanti. Sommes-nous dans un pays scandinave qui baigne dans la social-démocratie?

Pas le moins du monde! Nous sommes chez nos voisins ontariens qui ont pris un virage à gauche en annonçant une hausse du salaire minimum à 15 $ d'ici 2019. Ce faisant, l'Ontario suit les traces de l'Alberta, qui avait été la première province à annoncer une augmentation du salaire minimum à 15 $.

Il n'en fallait pas plus pour ranimer le débat au Québec, où le gouvernement libéral s'est déjà engagé à relever le salaire minimum à 12,45 $ d'ici 2020.

Devrait-on suivre l'exemple de la province voisine ? Sans vouloir passer pour une sans-coeur, je répondrai que ce n'est pas nécessaire, du moins pas si l'objectif est d'être sur le même pied que l'Ontario.

Il faut bien le dire, le Québec est déjà la province où les bas salariés ont le meilleur sort. Malgré la hausse en Ontario, le Québec continuera de faire bonne figure, comme le prouvent des calculs fort révélateurs réalisés à ma demande par Luc Godbout, titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke.

Attendez de voir... Même si les 15 $ de l'Ontario semblent plus avantageux que les 12,45 $ du Québec, ce n'est qu'une illusion d'optique.

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Pour comparer adéquatement les salaires minimums, il faut tenir compte de la réalité de chaque province. Le Québec et l'Ontario n'ont pas le même prisme.

Primo, le salaire moyen, qui sert souvent de point de repère pour établir le salaire minimum, est plus élevé en Ontario. En moyenne, les travailleurs gagnent 26,43 $ l'heure, soit 7% de plus qu'au Québec (24,77 $).

Secundo, la vie coûte plus cher en Ontario. Pensez seulement au prix des maisons. Le marché immobilier complètement débridé dans le Grand Toronto a fait grimper le prix moyen d'une résidence à 811 000 $. C'est deux fois et demie plus élevé que dans le Grand Montréal (319 700 $), selon les statistiques d'avril de l'Association canadienne de l'immeuble.

Tertio, la fiscalité donne un gros coup de main aux Québécois en bas de l'échelle, en particulier ceux qui ont des enfants.

Prenez un couple avec deux enfants dont un seul des conjoints travaille à temps plein au salaire minimum. En 2016, cette famille a pu compter sur des revenus bruts de 22 360 $. Mais en considérant toutes les prestations fiscales, ses revenus disponibles ont gonflé à 41 493 $. Presque le double.

Ces revenus disponibles représentent 118 % de la mesure du panier de base (MPB), c'est-à-dire de la somme qu'une famille doit dépenser au Québec pour se procurer l'essentiel. Autrement dit, l'intervention de l'État permet à la famille au salaire minimum de vivre un peu au-dessus du seuil de la pauvreté.

Avec la hausse prévue du salaire minimum au Québec, le pourcentage grimpera à 121% en 2019, a calculé M. Godbout. Cela restera bien au-dessus de l'Ontario, où le taux de couverture de la MPB atteindra à peine 104%. Cela signifie que le même type de famille arrivera tout juste à se sortir de la misère, même avec le salaire minimum à 15 $.

Pour une personne seule, le Québec et l'Ontario seront pratiquement au coude à coude en 2019, avec un taux de couverture de 120% et 122% respectivement.

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Reste à savoir si on devrait faire mieux?

Depuis plusieurs années, le salaire minimum tourne autour de 45 à 47% du salaire moyen au Québec. Il passera à 50% en 2020 avec les engagements du gouvernement Couillard. Aller plus loin pourrait être hasardeux.

Une augmentation trop abrupte du salaire minimum risque de provoquer des pertes d'emplois, comme on l'a vu au Québec dans les années 70. Un salaire minimum trop élevé peut aussi entraîner une augmentation du décrochage scolaire, quoique l'Ontario a justement prévu un taux plus bas (14,10 $) pour les élèves de moins de 18 ans.

Au lieu d'augmenter davantage le salaire minimum, le gouvernement pourrait fouiller dans sa boîte à outils fiscaux.

«Une augmentation du salaire minimum va mettre de la pression sur les entreprises, tandis qu'une baisse d'impôt mettra de la pression sur les recettes gouvernementales», dit M. Godbout.

Lors du dernier budget, Québec a relevé le seuil de revenus sous lequel les particuliers n'ont pas à payer d'impôt à 14 890 $ à partir de 2017. Ce n'est peut-être qu'un début, comme l'avait laissé entendre le ministre des Finances Carlos Leitão, parlant de la mesure comme d'un premier pas.

Pourquoi ne pas se rendre jusqu'à 18 000 $? De cette manière, on s'assurerait que les travailleurs qui vivent sous le seuil de la pauvreté n'aient pas à payer d'impôt, ce qui paraît tout à fait raisonnable.

Évidemment, une telle baisse d'impôt profiterait à l'ensemble des salariés, les plus pauvres comme les plus riches, ce qui rendrait la mesure plus populaire, mais qui coûterait aussi plus cher aux coffres de l'État.

Si on souhaite davantage cibler les bas salariés, il serait plus efficace de rehausser la prime au travail ou un autre crédit d'impôt destiné aux moins nantis.

Et si on désire vraiment lutter contre la pauvreté, il faudrait aider les personnes bénéficiaires de l'aide sociale, plus particulièrement celles qui vivent seules et qui n'ont pas été gâtées par les gouvernements au fil des derniers budgets.

Ce n'est pas en haussant le salaire minimum qu'on leur donnera un coup de main.