Le débat entourant le salaire minimum s'est engagé à l'envers cet automne. On a d'abord trouvé une solution importée d'ailleurs - la hausse du salaire à 15 $ l'heure - avant même de cerner le véritable problème chez nous.

Le problème, c'est que le salaire minimum, pris isolément, donne un portrait tronqué de la réalité financière des personnes qui travaillent au bas de l'échelle. Si on veut intervenir pour réduire la pauvreté, encore faut-il savoir de quoi on parle.

Deux études publiées hier par la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke arrivent donc à point nommé.

Les auteurs Luc Godbout et Suzie St-Cerny comptabilisent toutes les mesures fiscales que les personnes à faibles revenus reçoivent de l'État pour les aider à joindre les deux bouts.

Depuis 2000, la situation s'est nettement améliorée pour les familles avec enfants. D'un budget à l'autre, ce sont elles qui ont reçu les plus beaux cadeaux des gouvernements.

Les mesures pro-bébés semblent plus vendeuses sur le plan électoral, mais le temps est venu de penser aussi aux personnes seules, qui sont restées sur leur faim. Surtout que les trois quarts des travailleurs au salaire minimum et des prestataires de l'aide sociale n'ont pas d'enfant à la maison. Et eux n'ont pas été gâtés depuis 15 ans. Au contraire.

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Avant de parler du salaire minimum, jetons un coup d'oeil sur les personnes qui n'ont absolument aucun revenu.

En 2016, une personne seule qui vit de l'aide sociale reçoit tout près de 8000 $ et un couple avec deux enfants, environ 11 500 $.

Impossible de vivre avec aussi peu, dites-vous ? C'est vrai. Mais il faut tenir compte des mesures fiscales. Comme le couple avec enfants a droit à toutes sortes de prestations (Allocation canadienne pour enfant, Soutien aux enfants du Québec, etc.), son revenu disponible s'élève à plus de 29 000 $.

Ce niveau de revenu représente 83 % de la mesure du panier de consommation (MPC), c'est-à-dire du montant qu'une famille doit dépenser au Québec pour se procurer la base.

Pour mettre les choses en perspective, le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l'exclusion a déjà déterminé, en 2009, que le soutien fourni aux personnes sans le sou devrait leur permettre d'atteindre un revenu équivalant à 80 % de la MPC. Le Comité suggérait aussi qu'une personne devrait pouvoir atteindre un revenu équivalant à 100 % de la MPC en travaillant 16 heures par semaine au salaire minimum.

Pour les familles avec enfant sur l'aide sociale, on atteint donc la cible. Mais pour les personnes seules, on est très loin du compte, car elles doivent se débrouiller avec 9 192 $ par an, pratiquement la moitié de la MPC. En clair, cette personne aurait besoin de près de 8000 $ de plus pour se procurer l'essentiel.

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Qu'en est-il des personnes au salaire minimum ?

En travaillant 16 heures par semaine, les familles avec enfants arrivent de justesse à se sortir de la pauvreté. Mais pas les personnes seules : leurs revenus disponibles représentent seulement 77 % de la MPC, bien en dessous de la cible du Comité.

En fait, il faut qu'une personne seule travaille pratiquement à temps plein au salaire minimum pour arriver à se procurer la base. À 40 heures par semaine, ses revenus équivalent à 114 % de la MPC.

Il est intéressant de souligner qu'il s'agit de la meilleure performance parmi toutes les provinces canadiennes. 

« Il n'y a aucune autre province qui permet de mieux couvrir les personnes qui travaillent au salaire minimum contre la pauvreté. »

- Luc Godbout, titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke

Même si l'Alberta affiche le salaire minimum le plus élevé (12,20 $ contre 10,75 $ au Québec), c'est chez nous que les bas salariés vivent le mieux en considérant toutes les prestations fiscales et en tenant compte du coût de la vie.

Voilà bien la preuve qu'on ne peut pas analyser le salaire minimum en vase clos.

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Reste à savoir si on devrait en faire plus...

Devrait-on assurer de meilleurs revenus aux bas salariés ? Si oui, comment procéder ? En haussant le salaire minimum ? Mais une hausse brusque risque d'entraîner des pertes d'emplois, et les employés visés pourraient voir une bonne partie de leur augmentation de salaire effacée par la diminution des prestations de l'État.

Vaudrait-il mieux bonifier les prestations gouvernementales pour leur assurer une vie plus décente ?

Québec pourrait commencer par faire en sorte que les travailleurs ne paient pas d'impôt tant qu'ils n'ont pas franchi le seuil de pauvreté, une idée lancée par la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise.

Il s'agirait de relever le montant de base que les contribuables peuvent gagner à l'abri de l'impôt d'environ 14 500 à 18 000 $. Cela procurerait une économie d'impôt d'environ 500 $ par année. Mais évidemment, tous les contribuables en profiteraient, y compris ceux qui gagnent des millions. Et la mesure n'apporterait rien aux gens qui n'ont pas ou ont peu de revenus.

Si on veut vraiment s'attaquer à la pauvreté, il faudrait cibler les personnes seules et les couples sans enfant avec des mesures qui leur apporteraient le minimum vital sans les décourager de travailler.

infographie la presse