Il gagnait 350 000 $ par année, roulait en Jaguar. Il possédait un condo à Montréal, une résidence secondaire dans les Cantons de l'Est. Mais quand l'homme de 62 ans est décédé, sa conjointe et ses enfants ont découvert avec stupeur que sa succession était dans le rouge.

« Vous auriez dû leur voir la face », raconte Michel Beauchamp, notaire spécialisé en succession insolvable et chargé de cours à la faculté de droit de l'Université de Montréal.

Malgré son train de vie princier, le défunt n'avait pas de liquidités. Son auto était louée, ses maisons, hypothéquées. La succession n'avait pas assez d'actifs pour rembourser l'ensemble des dettes. Une situation de plus en plus fréquente.

D'ailleurs, le nombre de renonciations de legs et de succession a doublé depuis 10 ans et triplé depuis 20 ans, selon le Registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM). Pour être bien précise, 4472 personnes ont refusé un héritage au Québec en 2015 contre 1384 en 1994.

Malheureusement, je crois que ce n'est que le début de la vague quand je vois la hausse considérable de l'endettement chez les personnes âgées.

Aussi, le nombre de faillites chez les personnes de 65 ans et plus a bondi de 131 % depuis 10 ans au Québec, selon le Bureau du surintendant des faillites. C'est nettement plus que la hausse de 50 % dans l'ensemble de la population.

D'autres aînés repoussent leur faillite après leur mort. De leur vivant, ils réussissent à garder leur tête hors de l'eau en faisant le paiement minimum sur leurs cartes de crédit tous les mois.

Mais après leur décès, c'est l'hécatombe. La succession n'a pas assez d'actifs pour rembourser les cartes au complet.

« En plus, de nouvelles dettes s'ajoutent dès l'instant du décès. Il faut payer deux mois de loyer à la résidence où demeurait le défunt. Il faut assumer les frais funéraires qui ne cessent d'augmenter », énumère Me Beauchamp.

Résultat : sa succession est dans le rouge. Une très mauvaise surprise pour les héritiers qui sont pris avec les problèmes.

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Trop souvent, les héritiers se précipitent pour renoncer à la succession, sans rien vérifier, craignant d'avoir à rembourser toutes les dettes du défunt à même leurs deniers personnels.

Mais il s'agit d'une fausse croyance. Quand ils respectent les règles, les héritiers ne sont pas responsables des dettes au-delà de la valeur des biens qu'ils reçoivent. Ainsi, en acceptant une succession qui compte 100 000 $ de dettes et 20 000 $ d'actifs, l'héritier ne sera pas responsable des dettes au-delà de 20 000 $.

Mais attention : il ne faut pas s'approprier les biens sans respecter les étapes de la succession. Cela veut dire : 

1- faire l'inventaire des biens. Avec un notaire, cela coûtera au moins 500 $, mais parfois beaucoup plus. Mais vous pouvez le faire vous-même en énumérant les actifs et les dettes du défunt dans un document qui sera signé devant deux témoins. Il ne restera qu'à payer la publication de l'avis au RDPRM et dans un journal.

2- faire une proposition de paiement aux créanciers en respectant l'ordre prévu. « Souvent, quand les dettes ne sont que de 20 000 $, on ne se rend même pas à la proposition. On discute avec les créanciers, et ça se règle », rapporte Me Beauchamp.

Mais pourquoi diable accepter une succession qui est dans le rouge ?

Beaucoup de successions s'annoncent insolvables, mais finissent solvables, répond Me Beauchamp qui a déjà vu un fils toucher 200 000 $ alors qu'il était prêt à renoncer à la succession de son père.

Dans d'autres cas, la renonciation peut être compliquée. Imaginons une dame dont le mari meurt avec une tonne de dettes. Si elle renonce à la succession, elle deviendra copropriétaire de la maison avec le ministère du Revenu qui administrera la succession. Il vaudrait peut-être mieux qu'elle paie un peu de dettes pour pouvoir vendre la maison ou la racheter elle-même, avance Me Beauchamp.

Sachez que lorsqu'on accepte une succession déficitaire, le notaire est payé à même les actifs de la succession. Quand le défunt n'a pas d'actifs et que les héritiers ne veulent pas sortir un cent de leur poche, ils peuvent toujours s'en tirer en produisant un inventaire qui sera envoyé aux créanciers pour limiter leur responsabilité.

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Autrement, lorsqu'on refuse la succession, il faut débourser environ 750 $ pour l'acte de renonciation qui est obligatoirement notarié. La procédure doit être faite dans les six mois suivant le décès, sinon les héritiers sont présumés avoir accepté.

Mais soyez vigilants : en faisant certains gestes, vous pourriez accepter la succession sans même vous en rendre compte. Des exemples ?

Après le décès de votre mari, vous transférez la maison à votre nom immédiatement. Après la mort de votre vieil oncle, vous avez vendu ses meubles et dépensé l'argent sans attendre. Erreur ! Trois mois plus tard, vous risquez de recevoir des lettres des créanciers. Il faudra alors faire des miracles pour vous sortir de ce faux pas.

« Quand je reçois à mon bureau des clients qui ont fait ça, je leur dis tout de suite que la basilique Notre-Dame est à côté et que ça serait bon d'allumer un lampion !

Ah ! oui, un dernier mot en terminant. Sachez qu'une renonciation n'est pas nécessairement définitive. Si vous découvrez dans cinq ans que votre père avait un million dans un compte inconnu, il sera toujours possible d'annuler votre renonciation, à moins qu'un autre héritier n'ait déjà accepté la succession avant vous. En prime, les dettes seront alors effacées, car les créanciers ont trois ans pour entreprendre un recours.

photo thinkstock

Le nombre de renonciations de legs et de succession a doublé depuis 10 ans et triplé depuis 20 ans, selon le Registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM). En effet, 4472 personnes ont refusé un héritage au Québec en 2015 contre 1384 en 1994.